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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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comme un envoyé du Magistrat – ce qu'il était – chargé de veiller à l'éclairage des rues – ce qu'il n'était pas. Il s'ensuivit une longue diatribe et une litanie de reproches et de récriminations, sur la fumée exhalée par les réverbères, leur caractère délétère, sur l'attitude délurée des commis allumeurs et mille autres remarques plus acerbes les unes que les autres. Puis M. Lecuyer en vint là où Nicolas l'attendait. Peu avant minuit, revenant d'un souper de fin de carnaval chez sa sœur qui demeurait à quelques toises de là, rue des Déchargeurs… après la mort de son époux, la succession s'était mal déroulée et, grugée par ses enfants, dont l'un, maître parcheminier, n'avait cessé…
    — Bref, interrompit Nicolas, vous rentriez chez vous, et ?
    Le propos allait se perdre dans des considérations généalogiques argumentées de plaintes sur l'ingratitude des enfants.
    — J'essayais. Monsieur, j'essayais ! Voilà qu'on ne saurait désormais s'engager dans nos rues sans risquer malemort ou finir estropié ! On a eu beau multiplier les bornes de belle et bonne pierre pour épargner l'angle des murs des roues hostiles, nous sommes vingt fois frôlés chaque jour que Dieu nous donne.
    Le commissaire pour le coup le laissa divaguer. Le Parisien était ainsi fait qu'il n'attendait qu'une chose des autorités, qu'on l'écoutât se plaindre, plein d'attention pour lui. Il ne souhaitait pas vraiment qu'on donnât suite à ses doléances, mais bien qu'on prît en considération sa colère ou son infortune.
    — Je revenais donc de souper chez ma sœur et parvins devant ma boutique dans l'obscurité la plus totale. À cela s'ajoutait la neige qui tombait. Soudain, j'entendis un bruit et manquai d'être renversé par une voiture sans fanal. Il m'a alors semblé qu'elle s'arrêtait un peu plus loin, le long de la prison du Fort-l'Évêque. J'entendis des voix, mais trop lointaines pour distinguer les propos, puis il m'a semblé que la voiture repartait. À vrai dire, la couche de neige n'était pas épaisse et il subsistait des plaques de glace, et pourtant on n'entendait pas les sabots, à croire qu'on avait enveloppé leurs fers ! Une voiture fantôme !
    Nicolas songea aux récits de Joséphine, sa nourrice, et frémit à l'idée de l' Ankou parcourant la lande bretonne pour annoncer un trépas ; il dut se retenir de se signer. Son malaise n'échappa point au marchand, fort satisfait de l'effet produit.
    Une odeur désagréable lui monta au nez. Il dut se retenir d'éternuer, ce qu'observa avec malice l'éventailliste.
    — Moi, je ne la sens plus ! L'habitude. Je vous concède qu'en dépit de mon enseigne cela ne fleure pas la rose. Pour faire le beau, il faut manier le sale…
    Décidément, pensa le commissaire, Noblecourt faisait des adeptes dans le négoce…
    — … Et ce que vous respirez et qui m'est bonheur, c'est le fumet d'une casserole de colle en train de mijoter dans la cheminée.
    — Et qui se prépare de quelle façon ?
    — Voudriez-vous, par hasard, traverser mes secrets ? J'ai garde de les répandre. Avec cette colle, je réunis deux feuilles que je tends ensuite sur un cadre, mais auparavant…
    Nicolas, peu enclin à commencer son apprentissage en la matière non plus qu'à entendre les malheurs de la famille Lecuyer, l'interrompit et réussit à prendre congé sans, pourtant, éviter de se faire proposer l'achat des produits les plus fantaisistes de la boutique : éventails en ébène, d'autres incrustés de fausses pierres précieuses et, avec un clin d'œil salace, un modèle spécial dont l'ouverture répétée animait de licencieuses images.

    Dans sa voiture, il consulta sa montre, évaluant les délais nécessaires à l'arrivée de Sanson et de Semacgus depuis leur domicile. Par acquit de conscience, il passa au Grand Châtelet où le père Marie préparait son fricot 18 . Nicolas décida de tenter sa chance auprès du peintre en pastel recommandé par Noblecourt. Il suffisait de passer la rivière pour rejoindre le quartier des collèges. Surtout, il ne pouvait courir le risque de voir le cadavre de l'inconnu se détériorer au point où le portraiturer ne serait plus d'aucun recours.
    Comme d'habitude, il dut se boucher le nez et retenir sa respiration quand sa voiture, après le quai de Gesvres, rejoignit le pont Notre-Dame, près du débouché de la rue Planche-Mibray qu'un pas suffisait à traverser. Un cloaque infâme stagnait à cet

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