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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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endroit dans lequel barbotaient des ordures et de longues traînées sanglantes dégoulinant des boucheries. Tout concourait à faire de l'endroit un lieu d'infection. De suffocantes puanteurs rameutées par l'appel du vent sur la Seine déferlaient des maisons tortues qui dominaient les sentines avoisinantes. À leurs fenêtres apparaissaient les faces blafardes, aux pommettes couvertes de plaques de rouge, de créatures qui, tout le jour, comme au port d'armes, attendaient, sourire édenté aux lèvres, leurs pratiques habituelles : les garçons bouchers du voisinage. Et dire, songea Nicolas en considérant les rats transis qui trottinaient sur la fange gelée, que la deuxième pompe à eau de la ville – outre celle de la Samaritaine au débouché du Pont-Neuf – puisait là les ressources nécessaires à la vie des Parisiens !
    Poursuivant sa réflexion, il déplora aussi la présence des maisons gothiques qui surplombaient le pont sur chacun de ses côtés, dérobant au regard les deux extrémités de la ville. Depuis longtemps les édiles et les lieutenants généraux successifs craignaient, lors du dégel des hivers les plus rudes, que la débâcle des glaces emporte les bateaux, barges et pataches 19 , les précipite contre les piles des ponts et menace d'une catastrophe définitive les vieilles bâtisses branlantes. Déjà, à plusieurs reprises, il s'était trouvé nécessaire d'évacuer leurs habitants. Comme toujours, des cabales d'intérêts avaient enterré les projets et déjoué la volonté des autorités.
    La voiture traversa la Cité, franchit le Petit Pont pour s'engager dans les rues Saint-Jacques et Saint-Étienne-des-Grès, puis tourna à main gauche dans celle des Chiens. Jardins, couvents et collèges voisinaient dans ce quartier. Au milieu des ruisseaux qui se tordaient au flanc de la montagne Sainte-Geneviève surgissaient çà et là, comme un mauvais lichen, des masures lépreuses.
    La maison recherchée ne fut pas difficile à trouver, un petit bâtiment étroit aux murs dégradés face au collège de Montaigu. La porte franchie, une furie domestique jaillit d'un recoin, un balai de genêt à la main. Cette créature, aussi maigre et haute que son instrument, tendit vers lui une face de musaraigne hargneuse. Il comprit qu'il avait affaire à la portière. Que faisait-il là ? Oh ! Elle les connaissait, ces barbets de haute potence qui s'introduisaient dans les maisons pour y dépouiller le pauvre monde. Nicolas l'engagea sèchement à se calmer et lui demanda où logeait le sieur Lavalée, peintre et miniaturiste en pastel.
    — Ah ! Çui-là, reprit la gorgone que cette incitation ne calma point. Il est, comme de juste, avec une toupie 20 à hennequiner 21 , si tant est que ce vieux galvaudeux en soit encore capable. Tant de fois il est passé sous l'archet du vieux remède à suer sa vérole ! Sale gonze que toute honnête femme prendrait aussitôt en guignon. Jamais un liard, ni un salut…
    Pensive, elle remonta d'une main une poitrine inexistante.
    — Bref, dit Nicolas glacial, où le trouve-t-on, à la fin des fins ?
    — Z'êtes comme les autres, trop pressé ! Si vous y tenez tant que ça, au fond de la cour dans le pavillon. Vous n'aurez qu'à pousser la porte. Il ne la ferme jamais au cas où on aurait envie de lui !
    Elle cracha sur le sol avec mépris avant de le balayer avec une énergie insoupçonnée chez cet avorton de femme. Dans la cour, le commissaire frappa à la porte du bâtiment annoncé. Personne ne lui répondant, il la poussa et entra dans une petite antichambre, tout un décor de garde-meuble, emplie d'un fatras d'objets disparates parmi lesquels dominaient des cannes, des fouets et des hottes en osier. Un couloir menait à une autre pièce d'où lui parvenait une rumeur de voix. Il s'approcha et découvrit un édifiant spectacle : un homme chauve, à demi nu dans une sorte de robe de toile souillée de taches colorées, était assis dans un grand fauteuil au bout d'une table, les pieds dans une chancelière de fourrure. Le poil gris de sa poitrine accusait son âge. Vautrée sur lui, une jeune femme, la chevelure dénouée, un drap mollement entouré autour du corps, l'agaçait et lui versait alternativement dans la bouche le contenu d'une écaille d'huître et celui d'un verre contenant du vin de Champagne, à en juger par les bouteilles gisant à terre. Chaque fois qu'elle levait son bras, le tissu glissait, découvrant une fine poitrine aux

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