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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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des convives. Nicolas ne perdit rien du coup d'œil éloquent et admiratif du vieux magistrat. Sans doute éprouvait-il la même impression que la sienne, qu'il fallait un grand courage pour oser le propos, et son estime pour Sanson s'en trouva renforcée. Bourdeau rompit le silence.
    — Paris s'enflamme pour le champion de la liberté et des idées républicaines.
    — La liberté de qui ? grinça Semacgus. Des marchands de thé, des planteurs à esclaves, de comptoirs où l'argent seul nourrit la considération.
    — Mieux vaut celle-là, issue du travail et du talent que celle fondée sur la naissance, où le puissant se donne seulement la peine de naître. Vous voilà soudain bien acerbe à l'encontre de la patrie de l' illustre Franklin !
    — C'est que je m'interroge toujours pour deviner ce que dissimulent les grands mots.
    — Oh ! dit M. de Noblecourt soucieux d'éteindre la polémique naissante, la chose sur laquelle il me semble devoir raisonner, c'est de savoir si nous aurons la guerre.
    — On dit le roi peu enclin à s'y engager, remarqua Semacgus.
    — Il y a de quoi tergiverser. Soutenir les insurgents équivaudrait fatalement à ouvrir les hostilités avec les Anglais. Et si le sort des armes nous favorise, nous risquons de tirer les marrons du feu au profit d'un nouvel État. Les Américains nous courtisent aujourd'hui ; demain qu'en sera-t-il quand, les mains libres, ils ne se préoccuperont que de leurs propres intérêts ? Je vais vous l'asséner : nous aurons ouvert nos caisses vides à fonds perdus. Et je n'ose imaginer les conséquences d'un revers. Déjà nous avons perdu les Indes et la Nouvelle-France, qu'adviendra-t-il alors ?
    — Mais, avança Sanson, ne peut-on espérer reprendre le Canada dans les négociations obligées qui mettront un terme au conflit ?
    — Ne tuons pas l'ours trop vite… Si j'étais Américain, dit Semacgus, c'est-à-dire un colon qui chasse son maître, je ne tolérerais pas le retour d'une ancienne puissance que j'avais aidé à chasser, notamment en massacrant les naturels qui lui étaient favorables.
    — Mais vous, Nicolas, reprit Noblecourt, qui êtes au fait des secrets les plus resserrés, qu'en pensez-vous ?
    — Qu'étant au fait des secrets, j'ai aussi le devoir de les conserver tels.
    Il ne souhaitait pas découvrir son sentiment sur cette grave situation. S'il savait beaucoup, c'était aussi qu'il respectait le secret des affaires. Au fond de lui, il s'étonnait pourtant qu'on pût songer soutenir des rebelles à leur roi. Quel renfort à l'esprit à temps qui visait à réformer à tout-va le traditionnel gouvernement du royaume ! Il était plus conscient que d'autres que la guerre sur des théâtres si lointains exige une flotte puissante. M. de Sartine s'y échinait au point que le contrôle général des finances ne cessait d'entraver les efforts jugés dispendieux de ce ministre opiniâtre. La guerre déclenchée, il la faudrait gagner coûte que coûte. Devant lui, M. de Vergennes, en charge des Affaires étrangères, avait affirmé qu'on n'était jamais plus assuré de la paix que lorsqu'on était en situation de ne pas craindre la guerre ! justifiant ainsi tous les préparatifs.
    — Il n'y a pas le feu dans la maison, dit Semacgus, la guerre n'est pas pour demain. Des instructions ont été données pour que les bâtiments de commerce ne soient pas autorisés à fréquenter les eaux des colonies rebelles et que le roi ne réclamera pas ceux qui seraient saisis en action de contrebande 35 .
    Bourdeau ricana.
    — C'est sans doute pour mieux respecter ces instructions que le commerce entre nos Antilles et la Nouvelle-Angleterre ne fait que croître ! On a beau chercher à calmer l'ire anglaise, nos réponses diplomatiques, dans leur galimatias, dissimulent quelques certitudes bien senties : on ne punira pas ceux qui échapperaient au danger de la vigilance, on souhaitera même, en sous-main, qu'ils en courent le risque, en les excitant à chercher leur profit là où ils le pourront trouver.
    Le café fut pris dans un angle de la pièce. Nicolas proposa de confectionner des Pompadour .
    — Il est vraiment vieille cour  ! dit Semacgus.
    — Riez, messieurs, c'est le feu roi lui-même qui m'apprit à l'apprêter ainsi lors des soupers des petits appartements.
    Il plaça sur chaque tasse pleine une cuillère en équilibre sur laquelle il déposa des morceaux de sucre. Il les imprégna de rhum puis, d'une brindille

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