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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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nature propre. J'en suis au moment où il faut savoir se détacher de choses qui poursuivront sans nous leur histoire. Mais notre regard leur insufflait une vie particulière pétrie de tout ce que nous mettions en elles. D'autres passions les éclaireront après nous…
    Un silence ému suivit cette déclaration. Nicolas se montra.
    — Eh ! Comment peut-on s'assombrir ainsi ? De quelle atrabile et navrement rompez-vous le cœur de ce jeune cavalier ? Peut-on imaginer à l'issue de cette belle soirée plus maussade affliction ?
    — Point du tout, monsieur le directeur des consciences. C'est précisément la joie de cette réunion qui me relâche sur tout ce que j'abandonnerai un jour. Et à ce moment-là, je ne veux de regrets que pour les amis…
    Il prit dans ses bras le père et le fils, les réunissant dans une même étreinte.
    — … que je quitterai, rassurez-vous, le plus tard possible.
    Il jeta un dernier regard sur ses trésors avant de refermer la porte, éclairé par Louis qui tenait la chandelle.
    — Ce cabinet est, au demeurant, des plus modeste. J'ai visité naguère celui du duc de Sully, à l'ancien hôtel de Lesdiguières. Les quatre pièces du premier étage possédaient des murs recouverts d'études d'animaux, de reptiles, de papillons en petits tableaux encadrés et serrés les uns contre les autres. Des cabinets chinois de laque ouverts à deux battants renfermaient des vases en cristal de roche, des porcelaines, du corail, des ivoires, des nautiles montés en vermeil et des bronzes et médailles antiques. On y pouvait même admirer des fragments de momie.
    Il soupira.
    — Cela tarirait des fortunes et le peu qu'on possède est déjà si malaisé à réunir ! Il y a trop peu d'intervalle entre le temps où l'on est trop jeune et celui où l'on est trop vieux. Chacun est proprement une suite d'idées qu'on ne devrait jamais interrompre. Bast ! Au bout du compte je suis un privilégié : je n'aurais pas vécu heureux sans le savoir. Contrairement à d'autres, j'ai eu la chance de me faire des amis dans la vieillesse.
    Nicolas annonça son prochain départ pour Versailles, une voiture de cour le prendrait avec Louis le lendemain à sept heures. Ce dernier salua leur hôte. Noblecourt s'enquit des suites de l'enquête. Il en entendit le détail sans manifester aucune surprise.
    —  Encore une fois, remarqua-t-il, le destin ne vous simplifie pas la tâche. Toujours l'incertitude des apparences ; il y a du trompe-l'œil dans tout cela ! Quant à votre ami Sanson, ma foi, il me plaît tout à fait. Dans une position délicate, il a tenu sa partie avec modestie et ouverture. Voilà une bien étrange destinée dont la singularité est tenue en lisière par un bon esprit qui se venge du dédain par la dignité parfaite de sa conduite. Il déploie une affabilité vraie sans aucune des pinces mordicantes qui pourraient résulter de l'horreur de son état.
    Chacun regagna sa chambre. Nicolas qui voulait donner le bonsoir à son fils rejoignit celle si longtemps la sienne rue Montmartre. Elle était vide, le lit non défait. Il hocha la tête en souriant.

IV
    DUPERIES
    Tout ce qui va à Versailles croit aller à la cour, et en être.
    Duclos

    Lundi 10 février 1777
    Quel était ce grand bal ? Il ne se souvenait pas y avoir été convié. Y accompagnait-il la reine ? Il aperçut soudain Aimée d'Arranet plongée dans la grande révérence imposée par la figure de la danse. Il lui sembla qu'elle toisait son vis-à-vis avec un sourire complice. Allait-il retomber dans les hantises passées ? Voulant la rejoindre, il ne put s'élancer, ses jambes refusaient de le porter. Il découvrit que le parquet était recouvert de neige dont la consistance épaisse et collante s'apparentait à celle d'une glu. Un personnage richement paré s'approcha de lui.
    — Ah ! monsieur le marquis, les jeunes femmes désormais préfèrent le pharaon ou le biribi 37 . Voilà deux jeux que je donne en ce temps de carnaval et l'on m'en a su plus de gré que si j'avais offert deux grands bals !
    Il considérait Nicolas avec ironie. C'est ce regard qui le fit reconnaître du commissaire. Il se trouvait à l'hôtel de Bonnac, rue de Grenelle, et son interlocuteur était le comte de Creutz, ambassadeur du roi de Suède à Paris.
    — Si vous souhaitez sortir, dit-il en ouvrant une croisée, la corde est prête.
    Nicolas se dégagea, monta sur le rebord de la fenêtre, saisit la corde et se jeta dans le vide.

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