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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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que je ne serai pas loin ! Et ainsi découvrirons-nous, à la fin des fins, ce qu'il en est en vérité.
    — Monsieur le marquis, vous me voyez accablé par tant d'infortunes révélées. Je m'en remets à votre conseil et suivrai vos instructions.

    Pour plusieurs raisons, Nicolas quitta la rue Neuve-du-Luxembourg rien moins que perplexe. Il transparaissait de plus en plus que le développement de cette intrigue emprisonnait la reine dans les rets d'intérêts et de rivalités confondus. Tout cela le laissait atterré, et que chacun, d'évidence, connût un morceau de la partition l'inquiétait au plus haut point. C'était souvent dans les interstices de ces demi-secrets que s'inscrivaient d'autres menées plus redoutables encore, car se développant masquées par la trame principale. Quant à Loiseau de Béranger, ce n'était qu'un de ces hommes nouveaux dont l'esprit se prévalait d'une fortune trop récente. Il aspirait d'évidence à décorer sa réussite d'honneurs qui le décrasseraient, en lavant l'odeur fade de l'or et de l'argent. Nicolas s'interrogea : comment et pourquoi courait-on après la noblesse ? Quelle valeur possédait une qualité que tant de moyens permettaient aujourd'hui d'acquérir ? Certes, il en parlait à son aise alors qu'il jouait, lui, sur deux tableaux, assuré d'être issu d'une antique et glorieuse lignée. Il se prit soudain à penser que cette situation, qui lui offrait, comme à d'autres, tant d'appréciables privilèges, obligeait celui qui en bénéficiait. Sans doute les habitudes du temps péchaient-elles désormais par indulgence et laisser-aller. Pour que cette dignité conservât toute sa valeur, ne devrait-il pas y avoir plus de motifs de la faire perdre et ôter à ceux qui la déshonoraient ? Combien de fois avait-il vu de fieffés coquins échapper par la seule puissance de leur nom ou sous les fallacieux prétextes de la raison d'État aux justes châtiments de la justice ? Il ne les comptait plus. Des paroles du roi, pourtant peu disert, lui revenaient en mémoire : la noblesse devait apprendre à ne se plus confondre avec les conditions dont la fortune est de s'enrichir. La seule digne pour elle était de mériter les honneurs en servant le prince et la patrie et préférer son estime à des bienfaits pécuniaires.
    Cette réflexion l'avait mené jusqu'au Grand Châtelet environné déjà des ténèbres. Fantomatique, la vieille forteresse surgissait, sa silhouette massive estompée par les nuées humides. La bise soufflait, faisant au loin grincer des girouettes. Çà et là, des réverbères ouvraient des yeux troubles sur sa place déserte. À l'intérieur le père Marie veillait, préparant son fricot ; Bourdeau n'avait pas réapparu. Nicolas descendit à la basse-geôle et récupéra sur l'habit de l'inconnu un morceau du tissu supposé d'origine anglaise par Semacgus ; il serait soumis à la sagacité de maître Vachon, son tailleur. Il dévoila le cadavre de l'inconnu et dévisagea encore une fois sa face blême qui, sous l'effet du sel et du froid, paraissait se rétracter. Il se félicita d'avoir eu recours à Lavalée pour fixer l'image du mort et en conserver la trace la plus proche de la vie. Il jeta un coup d'œil sur la salle d'exposition. Là gisait la moisson habituelle de la camarde : deux corps d'hommes d'un âge incertain, d'évidence péris par noyade, quelques membres épars rejetés par le fleuve, provenant sans doute de dissections anatomiques clandestines, bref le tout venant que la lie du peuple et les familles éplorées viendraient morguer 55 le lendemain matin.
    Son regard fut soudain attiré par trois hottes d'osier appuyées sur la muraille. Il s'approcha et découvrit avec horreur quatre nouveau-nés morts dont déjà les visages, comme sucés de l'intérieur, s'apparentaient aux squelettes de fœtus des cabinets de curiosités. Cette découverte le fit souvenir d'une rencontre à l'auberge du Lion d'Or, à Vitry-le-François, deux ans auparavant sur le chemin de Vienne. Un homme avait soupé dans la salle commune. Le lendemain, Nicolas l'avait observé accrochant sur son dos ces hottes d'osier matelassées qui contenaient des nouveau-nés au maillot. Auparavant il leur avait fait sucer un peu de lait au bout d'un mouchoir. Cette vision l'avait longtemps poursuivi sans qu'il se l'expliquât. Frissonnant et soûlé de détresse, il remonta, comme Orphée des enfers, et interrogea le père Marie sur la provenance de ces

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