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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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sentait la gangue de boue se resserrer autour de son corps, il tenta de mettre de l'ordre dans ses idées. Tous ces événements participaient d'un même ensemble, il en était persuadé. Et derrière cette certitude, il pressentait la main des Anglais. La présence de Lord Aschbury à Paris, les menées sourdes des membres de l'ambassade britannique, ses émissaires et leurs conciliabules collusoires 122 , toutes ces tentatives conspirantes avaient d'évidence un objectif. Ce que Semacgus lui avait dévoilé ouvrait bien des horizons. Et Sartine dans tout cela ? Il pouvait mieux comprendre l'intérêt du ministre de la marine pour une question si capitale à la marche des vaisseaux du roi. Mais pourquoi ne s'en ouvrait-il pas à son ancien enquêteur, le plus fidèle et, naguère, le plus au fait des secrets de l'État ? Pour quelles raisons, s'il existait un lien entre ce souci et le mort de Fort-l'Évêque, s'obstinait-il à l'écarter du savoir et du courant de cette affaire ?
    Le cœur lui manqua soudain à la pensée que la Satin, qu'Antoinette, mère de Louis, pouvait être impliquée, elle aussi, dans cet imbroglio. Autre chose le hantait : il ne comprenait pas de quelle manière sa trace avait pu être retrouvée à Vaugirard ? Ou bien encore le hasard ? Il estimait avoir semé ses poursuivants. C'était donc… Les hypothèses se bousculaient. Son crâne, au fur et à mesure que la bosse achevait sa poussée, lui battait et résonnait au rythme de son cœur. Se pouvait-il ? Et pourtant il n'y avait pas d'autre explication. Il revoyait la scène. Il avait annoncé à Freluche qu'il la conduisait à Vaugirard, là où elle ne risquerait rien. Elle s'était alors retirée pour un besoin légitime. Oh ! Il n'avait alors suffi que d'un instant. Était-ce bien tout cela ? Il réfléchit qu'elle était de par sa familiarité avec Lavalée au fait de beaucoup de détails de l'affaire, qu'un vieil amant ne savait pas celer ses secrets à une fille troussée 123 de son âge, que, par extraordinaire, elle avait échappé à ceux qui avaient enlevé le peintre, et qu'à bien tordre l'histoire en tous sens, son refuge n'était pas si pourpensé qu'on ne pût aisément le découvrir. Ou alors… Pouvait-on être assuré que c'étaient les mêmes poursuivants ? Il chassa cette idée importune qui compliquait encore le tableau, mais qui pouvait éclairer l'énigme sous un jour différent.
    Une angoisse le saisit. Il tâta les poches de son pourpoint. Heureusement son petit carnet noir s'y trouvait toujours. Un moment il avait cru l'avoir laissé dans le manteau que Freluche s'était approprié lorsqu'elle avait pris la poudre d'escampette au petit matin. Il s'en voulut d'avoir manqué de discernement et de s'être abandonné à des appétits charnels. Hélas, pour distinguer le bien du mal, il fallait être ni trop près ni trop loin. Éros et Bacchus lui avaient troublé le jugement.
    Pourquoi céder toujours aux vieux démons l'entraînant si souvent dans les méandres des scrupules et des interrogations ? Une action immédiate s'imposait. Filer rue Montmartre et échapper au plus vite à la souillure nauséabonde du chemin, puis aller prendre le vent au Grand Châtelet où Bourdeau n'était sans doute pas demeuré inactif. Le temps avait étrangement tourné au chaud et il transpirait d'abondance. Il s'impatienta devant les embarras de circulation de la ville en éveil. Charrois, charrettes, troupeaux entrants destinés aux boucheries entretenaient un désordre que la tiédeur de l'air paraissait de surcroît alanguir, en en ralentissant les mouvements. Toute vision se troublait et le regard peinait à distinguer et à reconnaître les ombres floues qui se pressaient le long des voies. Même les cris et rumeurs, si obsédants et perçants d'habitude, ne parvenaient qu'atténués et avortés par l'atmosphère.
    S'étant un moment assoupi, secoué sinon bercé par les secousses de la caisse, il se réveilla la bouche sèche, arraché à un rêve commencé. Il mit plusieurs secondes à reprendre conscience de la réalité qui l'entourait rue Montmartre, la familière odeur du pain chaud de la boulangerie d'Hugues Parnaux 124 . Un jeune mitron, balançant entre fou rire et stupéfaction devant sa dégaine, l'aida à descendre de la voiture. Catherine, à genoux, nettoyait le carrelage de l'office. Elle poussa un cri devant cette statue de fange et agita les mains comme pour lui interdire l'entrée de son domaine.

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