Le Capitaine Micah Clarke
compagnon, j'aurais bien
du plaisir à entendre ce récit. Je m'émerveille de voir qu'un homme
aussi fidèle, aussi inflexible que vous, ait été jamais mis en
liberté par les impurs et sanguinaires sectateurs de Mahomet.
– Il n'est pas bien séant que je fasse ce
récit, dit Saxon avec un grand sang-froid, en me jetant un regard
de travers tout plein de venin. C'est à mes camarades de mauvaise
fortune et non à moi à décrire ce que j'ai souffert pour la foi. Je
suis à peu près certain, Maître Pettigrue, que vous auriez fait
comme moi, si vous vous étiez trouvé là-bas… La ville de Taunton se
déploie bien tranquillement devant nous, et il y a bien peu de
lumière pour une heure aussi avancée, vu qu'il est près de dix
heures. Il est clair que les troupes de Monmouth ne sont pas encore
arrivées, sans cela nous aurions vu des indices de bivouacs dans la
vallée ; car s'il fait assez chaud pour dormir en plein air,
les hommes sont obligés de faire du feu pour préparer leur
repas.
– L'armée aurait eu quelque peine à arriver
aussi loin dit le ministre. Elle a, à ce qu'on m'a appris, été très
retardée par le manque d'armes et le défaut de discipline. Songez
aussi, que c'est le onze que s'effectua le débarquement de Monmouth
à Lyme et nous ne sommes qu'à la nuit du quatorze. Il a fallu faire
bien des choses dans ce temps.
– Quatre jours entiers ! grommela le
vieux soldat. Et pourtant je n'attendais rien de mieux, vu le
défaut de soldats éprouvés parmi eux, à ce qu'on me dit. Par mon
épée ! Tilly ou Wallenstein n'auraient pas mis quatre jours
pour aller de Lyme à Taunton, quand même toute la cavalerie du Roi
Jacques aurait barré la route. Ce n'est pas ainsi, en lambinant,
qu'on mène les grandes entreprises. On doit frapper fortement,
brusquement. Mais, dites-moi, mon digne monsieur, car nous n'avons
guère recueilli en route que des rumeurs et des suppositions, n'y
a-t-il pas eu quelque sorte d'engagement à Bridport ?
– En effet, il y a eu un peu de sang versé
dans cette localité. Ainsi que je l'ai appris, les deux premiers
jours ont été employés à enrôler les fidèles, et à chercher des
armes pour les en pourvoir. Vous avez raison de hocher la tête, car
les heures étaient précieuses. À la fin, on parvint à mettre en un
certain ordre environ cinq cents hommes, auxquels on fit longer la
côte, sous le commandement de Lord Grey de Wark et de Wade, l’homme
de loi. À Bridport, ils se trouvèrent en face de la milice rouge du
Dorset et d'une partie des Habits jaunes de Portman. Si tout ce
qu'on dit est vrai, on n'a pas lieu de se montrer bien fier de part
ni d'autre. Grey et sa cavalerie ne cessèrent de tirer sur la bride
que quand ils furent revenus se mettre en sûreté à Lyme. On dit
cependant que leur fuite est plutôt imputable à la dureté de la
bouche de leurs montures qu'au peu de cœur des cavaliers. Wade et
ses fantassins tinrent tête bravement et eurent le dessus sur les
troupes du Roi. On a beaucoup crié dans le camp contre Grey, mais
Monmouth n'à guère les moyens de se montrer sévère à l'égard du
seul gentilhomme qui ait rejoint son drapeau.
– Peuh ! fit Saxon, d'un ton bourru, les
gentilshommes n'abondaient pas dans l'armée de Cromwell, je crois,
et pourtant elle a fait une bonne figure contre le Roi, qui avait
autour de lui autant de Lords qu'il y a de baies dans un buisson.
Si vous avez le peuple pour vous, à quoi bon rechercher ces beaux
gentlemen à perruque, dont les blanches mains et les fines rapières
rendent autant de services que des épingles à cheveux.
– Sur ma foi, dis-je, si tous les freluquets
font aussi peu de cas de leur vie que notre ami Sir Gervas, je ne
souhaiterais pas de meilleurs compagnons sur le champ de
bataille.
– Et c'est la vérité, oui, s'écria avec
conviction Maître Pettigrue. Et pourtant, comme Joseph, il porte un
habit de bien des couleurs, et il a d'étranges façons de parler.
Personne n'aurait pu combattre avec tant de bravoure, ni fait
meilleure figure contre les ennemis d'Israël. Assurément ce jeune
homme a du bon dans le cœur, et deviendra un séjour de la grâce et
un vaisseau de l'Esprit, quoique pour le moment il soit empêtré
dans le filet des folies mondaines et des vanités charnelles.
– Il faut l'espérer, dit dévotement Saxon.
Mais avez-vous encore quelque chose à nous apprendre au sujet de la
révolte, digne monsieur ?
– Très peu, si ce n'est que les paysans
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