Le Capitaine Micah Clarke
un
mois, quatre de nos hommes portaient un baril, de l'autre côté de
la montagne au fermier Black, qui a fait des affaires avec nous
depuis ces cinq dernières années. Tout à coup surgissent une
dizaine de cavaliers, conduits par cet employé de l'Excise. Ils
jouent de la pointe et du tranchant, fendent le bras au grand John
et font prisonnier Dick le tonnelier.
« Dick a été traîné dans la prison
d'Ilchester, et pendu après les assises, comme on pend une fouine
sur la porte d'un garde-chasse. Nous avons appris que ce même
employé de l'Excise passerait par là, et il ne se doutait guère que
nous le guetterions. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que nous lui ayons
tendu un piège et qu'après l'avoir pris, nous lui fassions subir la
même justice qu'il a infligée à nos camarades !
– Il n'est qu'un serviteur, objectai-je ;
ce n'est pas lui qui a fait la loi ; c'est son devoir de
l'appliquer. C'est avec la loi elle-même que vous êtes en
querelle.
– Vous avez raison, dit le contrebandier d'un
air sombre. C'est surtout avec le juge Moorcroft que nous aurons à
régler le compte. Il se peut que dans sa tournée il passe sur cette
route. Fasse le ciel qu'il prenne ce chemin ! Mais nous
pendrons aussi l'employé de l'Excise. Maintenant il connaît notre
souterrain, et ce serait folie de le laisser partir.
Je vis qu'il était inutile d'argumenter plus
longtemps.
Aussi je me contentai de laisser tomber mon
couteau de poche sur le sable à portée de la main du prisonnier
dans l'espoir que cela pourrait lui servir.
Ses gardes riaient et plaisantaient ensemble,
et ne s'occupaient guère de leur captif, mais l'employé avait
l'esprit suffisamment en éveil, car je vis sa main se fermer sur le
couteau.
J'avais passé environ une heure à me promener
en fumant, lorsque le lieutenant Silas reparut, annonçant que le
lougre était prêt, et le cheval à bord.
Je dis adieu à Murgatroyd, et hasardais en
faveur de l'employé de l'Excise quelques mots qui furent accueillis
par un froncement de sourcils et un serrement de main où il y avait
de la mauvaise humeur.
Un canot était tiré sur le sable en dedans du
souterrain, près du bord de l'eau.
J'y entrai, comme on me dit de le faire, avec
mon sabre et mes pistolets, qui m'avaient été rendus.
L'équipage le poussa au large et s'y embarqua
d'un saut dès qu'il fut en eau profonde.
À la faible lueur de la torche unique que
Murgatroyd tenait sur l'extrême bord, je vis que le toit de la
grotte s'abaissait rapidement au-dessus de nous, pendant que nous
ramions du côté de l'entrée. Il finissait par baisser tellement
qu'il y avait à peine quelques pieds de distance entre lui et la
mer, et qu'il nous fallut courber la tête pour éviter les rochers
qui nous dominaient.
Les rameurs donnèrent deux bons coups
d'aviron, et nous passâmes brusquement sous le rideau vertical,
pour nous trouver au grand air, sous les étoiles, qui brillaient
d'un éclat trouble, et la lune, qui se montrait en un contour vague
et indécis, à travers un brouillard de plus en plus dense.
Juste en face de nous se présentait une tache
foncée, mal délimitée, qui à notre approche prit la forme d'un
lougre de grande taille se soulevant et s'abaissant suivant les
pulsations de la mer.
Ses vergues longues et minces, le réseau
délicat des cordages montaient au-dessus de nous pendant que nous
nous glissions sous la voûte, et que le grincement des poulies, le
froissement des câbles, indiquaient qu'il était prêt à accomplir ce
voyage.
Il allait d'une allure légère et gracieuse,
pareil à un gigantesque oiseau de mer déployant une aile, puis
l'autre, pour se préparer à prendre son vol.
Les bateliers nous mirent bord à bord et
attachèrent le canot, pendant que j'escaladais les bastingages et
mettais le pied sur le pont.
C'était un navire spacieux, très large au
milieu, avec une élégante courbure aux bans, et des mâts d'une
hauteur bien supérieure à tous ceux que j'avais vus aux navires de
ce genre sur le Solent.
Il était ponté à l'avant, mais avait l'arrière
fort profond, avec des cordages figés sur toute la longueur des
côtés pour assujettir les barils, lorsque la soute était
pleine.
Au milieu de cet arrière-pont, les marins
avaient établi une solide écurie où se tenait debout mon brave
cheval devant un seau d'avoine.
Mon vieil ami frotta ses naseaux contre ma
figure, dès que je fus à bord, et poussa un hennissement de joie en
retrouvant son
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