Le Capitaine Micah Clarke
pouvez le pendre, pour plus de sûreté, mais
enfin ce n'est pas notre homme.
– Oui, qu'on le pende ! dit Pete le
Hollandais. Sapperment ! Faut-il que notre souterrain fasse
parler de lui dans tout le pays ? Alors où ira-t-elle la jolie
Maria
, avec ses soieries, et ses satins, ses barils et ses
caisses ? Faut-il risquer notre souterrain pour faire plaisir
à cet individu ? En outre, est-ce qu'il ne m'a pas frappé à la
tête, n'a-t-il pas frappé la tête de votre tonnelier, comme s’il
avait tapé sur moi avec mon propre maillet. Est-ce que ça ne mérite
pas une cravate de chanvre ?
– Est-ce que ça ne mérite pas un grand
rumbo
? s'écria Dicon. Avec votre permission,
capitaine, je voudrais dire que nous ne sommes point une bande de
brigands ni de petits voleurs, mais un équipage d'honnêtes marins,
incapables de faire du mal excepté à ceux qui nous en font.
L'employé de l'excise Westhouse a fait périr Dick le tonnelier et
il est juste qu'il en soit puni par la mort, mais pour ce qui est
de mettre à mort ce jeune soldat, je penserais plutôt à saborder la
coquette
Maria
ou à hisser le gros Roger à la pomme de son
mât.
Je ne sais quelle réponse on aurait faite à ce
discours, car à ce moment même un coup de sifflet aigu retentit en
dehors du souterrain, et deux contrebandiers parurent portant entre
eux le corps d'un homme.
Celui-ci se laissait aller d'un air si inerte,
que d'abord je le crus mort, mais lorsqu'ils l'eurent jeté sur le
sable, il remua, et enfin se mit sur son séant avec l'expression
d'un homme à demi tiré d'un évanouissement.
C'était un personnage trapu, à figure résolue,
dont une longue cicatrice blanche traversait la joue.
Il était vêtu d'un habit bleu collant à
boutons de cuivre.
– C'est l'homme de l'Excise, Westhouse,
crièrent les voix avec ensemble.
– Oui, c'est l'homme de l'Excise, Westhouse,
dit l'homme avec calme, en tordant le cou, comme s'il souffrait. Je
représente la loi du Roi, et au nom de la loi, je vous arrête tous.
Je déclare confisquées et saisies toutes les marchandises de
contrebande que je vois autour de moi, conformément à la seconde
section de la première clause du Statut sur le commerce illégal.
S'il y a des honnêtes gens dans la compagnie, ils m'aideront à
faire mon devoir.
En parlant ainsi, il fit un effort pour se
mettre debout, mais il avait plus de courage que de force, et il
retomba sur le sable au milieu des bruyants éclats de rires des
grossiers marins.
– Nous l'avons trouvé étendu sur la route, en
revenant de chez le père Microft, dit un des nouveaux venus.
C'étaient ceux qui avaient emmené mon
cheval.
– Il a du passer aussitôt après vous. La corde
l'a pris sous le menton et l'a fait tomber à une douzaine de pas.
Nous avons vu sur son habit le bouton de l'Excise, c'est pourquoi
nous l'avons apporté. Par mon corps, il en a donné des coups de
pied et fait des ruades, jusqu'à ce qu'il fût aux trois quarts
assommé.
– Avez-vous détendu la corde ? demanda le
capitaine.
– Nous avons dénoué un des bouts et laissé
l'autre en place.
– C'est bien. Nous aurons à le garder pour le
capitaine Venables. Mais maintenant il s'agit de notre premier
prisonnier. Il faut le fouiller et examiner ses papiers, car il y a
tant de navires qui font voile sous un faux pavillon, que nous
sommes forcés d'être attentifs. Vous entendez, monsieur le
soldat ? Qu'est-ce qui vous amène dans ce pays et quel Roi
servez-vous ? Car j'ai entendu parler d'une mutinerie et de
deux patrons qui se disputent le même grade dans le vieux vaisseau
anglais.
– Je sers sous le Roi Monmouth, répondis-je,
voyant que la fouille en question aboutirait à la découverte de mes
papiers.
– Sous le Roi Monmouth ! s'écria le
contrebandier. Non, mon ami, voilà qui a un air de mensonge. Le bon
Roi a trop grand besoin de ses amis dans le Sud, à ce que j'ai oui
dire, pour envoyer un aussi bon soldat à l'aventure le long de la
côte, comme un naufrageur de Cornouailles par un temps de
Sud-Ouest.
– Je porte, dis-je, des dépêches de la propre
main du Roi, adressées à Henri, Duc de Beaufort, dans son château
de Badminton. Vous pourrez les trouver dans ma poche de dedans,
mais je vous prie de ne pas rompre le cachet, car cela jetterait du
discrédit sur ma mission.
– Monsieur, cria l'employé de l'Excise, en se
soulevant sur son coude, je vous déclare pour cela en état
d'arrestation, sous l'accusation de
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