Le Capitaine Micah Clarke
maître.
Nous étions encore à échanger des caresses,
lorsque la tête grisonnante du lieutenant Bolitho apparut
brusquement à l'écoutille de la cabine.
– Nous voici en bon chemin, Capitaine Clarke,
dit-il, la brise est tout à fait tombée, comme vous pouvez le voir,
et il pourra s'écouler assez longtemps avant que nous soyons
arrivés à votre port. N'êtes-vous pas fatigué ?
– Je suis un peu las, avouai-je. J'ai encore
des battements dans la tête par suite de la fêlure que j'ai attrapé
quand votre corde m'a jetée à terre.
– Une heure ou deux de sommeil vous rendront
aussi dispos qu'un poulet de la mère Carey. Votre cheval est bien
soigné, et vous pouvez le quitter sans crainte. Je chargerai un
homme de s'occuper de lui, bien que, à dire la vérité, les coquins
s'entendent en bonnettes et en drisses, mieux qu'en ce qui regarde
les chevaux et leurs besoins. En tous cas, il ne peut lui survenir
rien de fâcheux. Aussi ferez-vous mieux de descendre et
d'entrer.
Je descendis donc les marches raides qui
conduisaient à la cabine basse de plafond du lougre.
Des deux côtés un enfoncement dans la paroi
avait été aménagé en couchette.
– Voici votre lit, dit-il, en me montrant
l'une d'elles. Nous vous appellerons quand nous aurons du nouveau à
vous apprendre.
Je n'eus pas besoin d'une seconde invitation.
Je m'étendis aussitôt sans me déshabiller, et au bout de quelques
minutes je tombai dans un sommeil sans rêves, que ne purent
interrompre ni le doux mouvement du navire, ni les piétinements qui
résonnaient au-dessus de ma tête.
IX – De la bienvenue qui m'accueille à
Badminton.
Lorsque j'ouvris les yeux, j'eus quelque peine
à me rappeler où j'étais, mais le souvenir m'en fut brusquement
ramené par le choc violent de ma tête contre le plafond bas quand
je voulus me mettre sur mon séant.
De l'autre côté de la cabine, Silas Bolitho
était couché de tout son long, la tête enveloppée d'un bonnet de
laine rouge.
Il dormait profondément, en ronflant.
Au milieu de la cabine se balançait une table
suspendue, très usée, et marquée d'innombrables taches par
d'innombrables verres et cruches.
Un banc de bois vissé au plancher complétait
l'ameublement.
Il faut toutefois y ajouter un râtelier garni
de mousquets, sur l'un des côtés.
Au-dessus et au-dessous des compartiments qui
nous servaient de couchettes, étaient des rangées de coffres
contenant, sans aucun doute, ce qu'il y avait de plus précieux en
fait de dentelles et de soieries.
Le vaisseau s'élevait et s'abaissait avec un
mouvement doux, mais d'après le flottement des voiles, je jugeai
qu'il y avait peu de vent.
Je me glissai sans bruit hors de ma couchette,
de façon à ne pas réveiller le lieutenant, et me rendis sur le
pont.
Nous étions non seulement en plein calme, mais
emprisonnés dans une épaisse masse de brouillards qui nous
cernaient de tous côtés, et nous dérobaient même la vue de l'eau
qui nous portait.
On aurait pu nous prendre pour un vaisseau
aérien naviguant à la surface d'un vaste nuage blanc.
De temps à autre un léger souffle agitait la
voile de misaine et l'enflait un instant, mais ce n'était que pour
la laisser retomber sur le mât immobile, pendante.
Parfois un rayon de soleil perçait à travers
l'épaisseur du brouillard et colorait la muraille morne et grise
d'une bande irisée, mais la brume l'emportait de nouveau et faisait
disparaître le brillant envahisseur.
Covenant regardait à droite et à gauche,
ouvrant de grands yeux interrogateurs.
Les matelots étaient groupés le long des
bastingages, fumant leur pipe, et cherchant à percer du regard le
dense brouillard.
– Bonjour, capitaine, fit Dicon, en portant la
main à son bonnet de fourrures. Nous avons marché magnifiquement,
tant qu'a duré la brise, et le lieutenant, avant de descendre, a
calculé que nous ne devions pas être bien loin de Bristol.
– En ce cas, mon brave garçon, répondis-je,
vous pouvez me débarquer, car je n'ai pas beaucoup de trajet à
faire.
– Oui, mais il faut nous attendre que le
brouillard se soit dissipé, dit le long John. Voyez-vous, il n'y a
par ici qu'un endroit où nous puissions débarquer notre cargaison
sans qu'on s'en mêle. Quand il fera clair, nous nous dirigerons de
ce côté-là, mais jusqu'au moment où nous pourrons relever notre
position nous aurons bien des soucis avec les bancs de sable du
côté pour le vent.
– Ayez l'œil par là, Tom Baldock,
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