Le Chant des sorcières tome 2
qu'elles connaissaient, celle d'Avalon. Pour autant, il se refuse à abandonner totalement le préceptorat d'Angleterre qu'il a initié avec l'avènement du roi Arthur. Grâce à la dernière des portes qu'il peut emprunter en toute discrétion, il forme des druidesses en forêt de Brocéliande et les place de mère en fille dans l'ombre du pouvoir.
— Et vous ? avait demandé Algonde comme Présine rajoutait une poignée de sel à la volée au-dessus du pot.
La fée avait pris le temps de recueillir un peu de bouillon dans sa longue cuillère de bois, de souffler sur la vapeur qui s'en échappait et de goûter du bout des lèvres avant de répondre.
— J'ai quitté Avalon en même temps que les Harpies. Je ne pouvais admettre le sens de la prophétie. Il faut me comprendre, Algonde. Moi qui n'étais qu'amour, j'avais engendré des monstres. Je n'ai pu supporter l'idée que mes filles puissent un jour se libérer de leur geôle et transformer les Hautes Terres en royaume du mal.
Présine avait recouvert la marmite puis s'en était revenue vers elle.
— J'ai cherché une alternative à cette prédiction. Des siècles durant. Lorsque je l'eus enfin trouvée, je me suis rendue à Brocéliande pour tout raconter à Merlin. Nous avions le même intérêt. Voilà pourquoi il m'accorda ce qu'il avait tant refusé à Morgane. Un fils.
Algonde avait froncé les sourcils. Présine ne lui avait pas laissé le temps de s'interroger davantage. La caresse sur sa joue avait accompagné un regard chargé de tendresse.
— Ton père est né de notre union.
Le cœur d'Algonde avait bondi dans sa poitrine. Les soupçons de sa mère étaient fondés.
— Mais alors, je devrais être immortelle et mon père avant moi ! avait-elle compris soudain comme ses doigts se nouaient, complices, à ceux de la fée.
Les yeux de Présine s'étaient chargés de tristesse.
— Si ton père n'avait vécu et vieilli comme un mortel, mes filles se seraient aperçues de ma présence et tout aurait été compromis. Je décidai donc de lui ôter cet avantage. Je lui fis absorber un philtre, un soir qu'il vint me trouver pour me demander une énième fois si j'étais sa mère, ce que je ne pouvais lui révéler. La potion eut des conséquences que je n'avais pas prévues. Son caractère s'en trouva changé. La suite, hélas, tu la connais, avait-elle conclu d'une voix éteinte.
Un moment de silence avait plané entre elles, fortes de ce souvenir commun. Douloureux et coupable. Pour autant, Algonde avait refusé de s'y abîmer. Elle avait besoin de comprendre pour mieux lutter.
— Oublions cela et racontez-moi plutôt ce qu'il advint de Plantine, avait-elle décidé.
Présine avait soupiré :
— Plantine. La pire sans doute des trois. Comme moi capable de changer d'apparence. Plus fin stratège que Mélior, elle a fait miroiter à la Harpie chargée de l'abattre qu'elle pourrait partager avec elle le trône des Hautes Terres. La Harpie est tombée dans le piège. Elle est à présent emmurée en Aragon à la place de ma troisième fille.
— Vous voulez dire que Plantine est libre ? Où est-elle ? avait sursauté Algonde.
Le visage de Présine s'était durci.
— Qui vainc une Harpie récupère en retour ses pouvoirs… Et sa laideur.
Algonde avait frissonné, rattrapée brutalement par l'évidence :
— Doux Jésus. Marthe. Marthe serait donc Plantine en réalité. Mais qu'advint-il de la troisième des Harpies ? Celle qui devait tuer Mélusine ?
Contournant le bout de la table de bois, Présine était retournée s'asseoir. Visiblement, cette partie de l'histoire lui pesait.
— Ce fut rondement mené, crois-moi. Dès lors qu'elle apprit que les Harpies avaient été libérées pour les éliminer toutes trois, Mélusine, traversant les cours d'eau, se mit en quête d'une vouivre, car elle savait que seule la morsure de cet animal pouvait vaincre ces démones. Elle finit par trouver un de ces serpents ailés, en Orient, ramena un œuf, le couva et éleva la bête pour qu'elle la protège. Lorsque Plantine, forte de ses nouveaux pouvoirs, arriva à Sassenage, ce fut pour constater que la troisième et dernière des Harpies n'avait pas réussi jusque-là à contourner la vouivre. Se donnant l'apparence de celle qu'elle avait vaincue en Aragon, Plantine s'en fut la trouver et lui mentit finement en l'assurant qu'à elles deux, elles pouvaient vaincre le monstre et se débarrasser de Mélusine. Elles descendirent
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