Le Chant des sorcières tome 2
fée. Tout cela est si complexe. Disons pour simplifier qu'il existe des mondes invisibles aux yeux des humains, des mondes parallèles, si proches les uns des autres dans le temps qu'ils peuvent parfois se juxtaposer.
— Comme des feuilles empilées ?
— En quelque sorte.
La jouvencelle avait hoché la tête. Bien sûr c'était étrange, mais elle n'avait pas douté un seul instant du savoir de la fée.
— Pourquoi m'avoir amenée ici ?
— Vois-tu s'y ébattre quelque vie ?
— Dans ces palais, sans doute.
— Ils sont vides. Pas un oiseau, un animal. Rien. Cette cité est morte. Ce que tu vois, Algonde, appartient à ma mémoire.
— Cela semble si présent…
— Là est la magie du souvenir. Restituer l'illusion des choses.
Présine avait balayé le paysage de sa main. Il avait disparu aussitôt, remplacé par les contours de la chaumière.
— Asseyons-nous, veux-tu ?
Elles s'étaient attablées l'une en face de l'autre.
— La ville blanche était régie par le pouvoir des Anciens. Un pouvoir fondé sur l'équilibre entre le bien et le mal et qu'ils tiraient d'une source d'énergie pure. Or, ce qui permettait de canaliser cette énergie fut volé. Peu à peu, les Anciens qui jusque-là avaient semblé immortels se mirent à dépérir puis à disparaître. Chaque fois que l'un d'eux s'éteignait, des portes se refermaient. Il n'en resta bientôt plus que deux : celle par laquelle on accédait à l'île d'Avalon et une autre, moins usitée, en terre de Brocéliande. Quant aux Anciens, un seul survécut : Merlin. Pendant ce temps dans ton monde, rattrapée par sa méchanceté, Mélusine était bannie par son époux et sa chambre murée.
— Je n'ai jamais eu confiance en elle, avait grincé Algonde.
— Et tu as bien fait. Car Mélusine refusa sa punition. Tout comme Mélior, enfermée sous la garde de son épervier, ou Plantine en Aragon. D'autant qu'au fil du temps toutes trois découvrirent qu'à l'inverse de ce qu'elles avaient toujours cru, elles vieillissaient. Très lentement, mais inexorablement.
— Je comprends mieux à présent pourquoi Mélusine est si décomposée… Elle m'a pourtant assurée de son immortalité.
— Un leurre, ma chère Algonde. Un leurre pour mieux te tromper. En vérité, ce n'est pas de leur immortalité que mes filles doivent se guérir, mais bien de leur mortalité. Pour cela, elles n'ont qu'une solution : se libérer de l'emprise de leur châtiment et rejoindre les Hautes Terres pour se régénérer.
— Comment ? avait demandé Algonde qui sentait monter en elle la colère d'avoir été abusée.
— Il y a quelques centaines d'années de cela, la prophétesse d'Avalon se présenta un matin devant Morgane, reine des Hautes Terres. Elle avait eu une vision et la lui servit avec ses mots à elle : « Le pouvoir des trois, du mal triomphera, et l'enfant né velu d'Hélène et d'un prince d'Anatolie, les Hautes Terres conquerra. » Morgane en devint enragée de jalousie, sûre à l'instant que ce pouvoir des trois ne pouvait être que celui, réuni, de mes filles. Elle ne pouvait admettre que le trône lui échappe. D'autant plus que Merlin lui refusait l'enfant dont elle rêvait pour asseoir son pouvoir sur les deux mondes. Celui des Hautes Terres qui se mourait et le tien. Elle libéra les trois Harpies en échange de la mort de Mélior, Plantine et Mélusine. La première des Harpies, et contrairement à ce qu'on t'a raconté, eut raison de Mélior. Pas totalement hélas, puisque son âme maléfique a survécu, emprisonnée dans l'esprit de l'épervier. De sorte qu'au lieu de contrôler le rapace comme tu l'imaginais, c'était Mélior qui, pour mieux servir la prophétie, utilisait et détournait tes pensées.
Présine s'était dressée. Un gargouillis prometteur leur parvenait du chaudron suspendu au-dessus des braises. Tout en enlevant le couvercle pour brasser sa soupe, la fée avait poursuivi :
— Or donc, son forfait accompli, la première des Harpies regagne Avalon pour en informer Morgane sans savoir que la Camarde a, entre-temps, emporté la reine et que Merlin, prévenant leur retour, leur a tendu un piège. Avant même d'avoir pris conscience de son inconséquence, elle est solidement enfermée et isolée pour ne pas avertir les autres du danger. Mais cela ne suffit pas à Merlin qui se doit de protéger les Hautes Terres de la cupidité démoniaque de mes filles. Il ferme, volontairement cette fois, la seule porte
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