Le Chant des sorcières tome 2

commun à nos deux mondes, que seuls les Anciens connaissaient. Si Merlin ne l'a pas utilisé pour réapparaître, c'est que quelque chose de terrible l'en a empêché. Quelque chose de terrible qui renvoie à la prophétie.
    Algonde avait froncé les sourcils :
    — Je ne comprends pas.
    Présine s'était dirigée vers une étagère adossée au mur. Elle y avait récupéré une fiole de verre bleu recouvert d'une dentelle irrégulière de fils d'argent.
    — Approche, avait-elle demandé à Algonde en posant l'objet sur la table. Dans la cité des Hautes Terres, au-dessus de la source d'énergie dont je t'ai parlé, se trouvait une table d'un cristal épais percée en son centre. Le verso était habilement taillé pour permettre aux rayons qui jaillissaient d'y converger et de frapper trois de ces flacons pyramides.
    — Que contenaient-ils ? avait coupé Algonde, curieuse.
    — Un puissant élixir de vie que cette magie pure renforçait encore et dont les habitants de la ville se nourrissaient. Tu peux donc imaginer à quel point ils étaient précieux.
    — Celui-ci est-il…
    — Plein? Oui.
    Algonde s'était sentie flattée d'y avoir goûté. Pour autant Présine n'avait pas terminé.
    — Outre ce premier usage de catalyseur, la table de cristal avait une autre utilité en son recto. C'était la mémoire des Hautes Terres. Elle racontait l'histoire des Anciens depuis la nuit des temps. Il suffisait pour la lire d'ouvrir la dentelle d'argent des flacons pyramides et de la coucher sur les tracés. Chaque porte y était inscrite avec son point de sortie dans ton monde.
    — Le vieux passage aussi ?
    — Oui. Mais comme je te l'ai laissé entendre plus tôt, table et flacons pyramides ont été dérobés. J'ai mis des siècles pour retrouver ces derniers. Les deux autres sont en sûreté. À ce jour, j'ignore où a été cachée la carte et même si elle n'a pas été brisée. Je garde confiance cependant car la prophétie est vérité. Le fils d'Hélène doit régner sur les Hautes Terres. Or le seul moyen que nous ayons ce jourd'hui d'y retourner, c'est de la retrouver.
    — Vos filles savent-elles ce que vous m'avez raconté ? Que le passage d'Avalon est refermé ?
    — Non, car sinon, plutôt que d'attendre ici, elles se seraient mises en quête, comme je l'ai fait.
    Le front barré d'une ride soucieuse, Algonde avait retourné le flacon pyramide entre ses doigts, rattrapée par une étonnante idée.
    — Le pouvoir des trois triomphera du mal… Le pouvoir des trois fioles… Le malheur qui a frappé les Hautes Terres, celui qui a terrassé Merlin…
    — J'en suis arrivée à la même conclusion, Algonde. Il faut ramener la table et les flacons pyramides là-bas. Rendre aux Hautes Terres leur mémoire et un roi. C'est la raison pour laquelle j'ai pris contact avec toi. Pour t'aider à déjouer les manigances de mes filles qui comme Morgane en son temps, comme Merlin et moi aussi, ont été trompées par la lecture de la prophétie.
    — Et pour l'œuf noir?
    Présine avait refermé ses doigts sur le flacon pyramide.
    — Rassure-toi. Je te donnerai de cet élixir pour vaincre ses pouvoirs maléfiques, ainsi non seulement ta fille et toi en serez protégées, mais aussi l'enfant d'Hélène, puisque Mélusine t'a demandé de le pervertir lui aussi avec de la poudre d'œuf. Mais tu devras être prudente. Plantine, ou Marthe comme elle se fait appeler, ne doit rien soupçonner. Tout repose sur tes épaules.
    Leurs regards s'étaient soudés. Algonde avait pris une profonde inspiration. Elle était la seule à pouvoir sauver les deux mondes. Et ceux qu'elle aimait. Ce jour-là, elle avait compris qu'elle n'avait plus le choix. Quoi que cela lui coûte, elle se devait à sa destinée.
    — Que dois-je faire ? avait-elle demandé.

4
    Algonde se leva et s'habilla chaudement. Puis, ayant recouvert ses épaules d'une pelisse fourrée, elle coinça le coffret de buis sous son bras et déverrouilla sa porte. Depuis qu'elle avait quitté Sassenage, Marthe avait cessé de s'intéresser à elle, en apparence tout au moins. De fait, la Harpie s'activait auprès de Sidonie qui gardait la chambre, éprouvée par sa grossesse. Si Algonde n'avait rien su de ses intentions, elle se serait laissée prendre à son indifférence.
    Un bougeoir à la main, elle longea le corridor jusqu'au double escalier de marbre, les sens aux aguets. Dans la demeure, silencieuse à cette heure, le moindre bruit était