Le Chant des sorcières tome 2
les soustraire à la vue des pêcheurs qui risquaient de longer la côte, ils étaient tous trois attablés dans la masure devant une bouteille de liqueur de myrte.
Le silence avait succédé à l'agitation de la découverte et le breuvage que Lina réservait aux grandes occasions tournoyait dans leurs gobelets de terre cuite au rythme de leurs pensées respectives. Impressionnés par leur gravité, les enfants en avaient même oublié de se chamailler et chuchotaient entre eux, réfugiés sur leurs paillasses. Leur trésor tenait en une caissette emplie au tiers de boutons colorés qu'ils se partageaient.
— Visiblement, c'était une cargaison d'épices et il faut supposer que si ces barils ont atteint nos côtes, d'autres viendront s'y échouer, ou seront récupérés en mer. Ce ne sont pas les pêcheurs qui m'inquiètent mais les pirates, se lança Enguerrand après avoir avalé une gorgée.
— Si quelque chose s'était échoué dans la baie, ce matin au marché tous en auraient parlé, assura Mounia.
— Nous crois-tu en danger ? demanda Lina.
Enguerrand dodelina de la tête, une moue circonspecte aux lèvres.
— Cinq tonnelets de poivre et deux de cannelle. À la revente, cela représente une véritable fortune. Si les pirates en agrippent un autre, ils suivront les courants pour ramasser à la dérive.
— S'ils débarquent, ils trouveront la grotte.
— Il faut récupérer les épices. Bien arrimées, nous les hisserons par le goulet, décida Lina.
Enguerrand opina du menton, inquiet.
— Si les pirates ne découvrent rien en bas, ils viendront à nous, Lina, et là, croyez-moi, ils ne feront pas de quartier, affirma-t-il en baissant la voix et le buste vers elle pour n'être pas entendu des enfants.
Un nouveau silence s'installa. Fallait-il compter sur la chance et admettre qu'ils seraient seuls à en avoir bénéficié, ou anticiper les risques ? Le regard de Lina balaya les toisons en broussaille de ses fils, penchés sur leur trésor. Tiendraient-ils leur langue ? Quand bien même les pirates les épargneraient, ne se trouverait-il pas quelque esprit cupide au village pour juger que tout ce bien serait mieux employé par lui ? Tout ce temps passé à jauger Enguerrand et Mounia… N'était-il pas l'heure de leur accorder sa confiance ? De leur révéler la vérité ? Elle inspira une grande bouffée d'air et le vida dans le souffle de sa détermination :
— Alors nous partirons. Si tu te sens capable de réparer la vieille charrette qui dort dans l'étable, nous l'attellerons au mulet et chargerons dessus les tonneaux avec quelques effets. J'ai une vieille cousine à l'intérieur des terres. Nous lui donnerons sa part une fois notre butin vendu. Après, advienne que pourra. Cette fortune est tombée du ciel. Nous en avons besoin, vous pour rejoindre l'Égypte, moi pour élever mes enfants.
Elle repoussa son tabouret pour gagner d'un pas décidé un petit coffre sous la fenêtre. Elle l'ouvrit, sonda le fond sous les maigres vêtements qu'il contenait et, à la stupeur du jeune couple, en ressortit un sabre au pommeau duquel elle referma ses doigts.
Lina leur fit face, un sourire amer au coin des lèvres. De là où ils se trouvaient, les enfants ne pouvaient apercevoir l'arme.
— Sortons, ordonna-t-elle en se glissant déjà à l'extérieur.
Intrigués par ce changement de ton et d'allure, davantage qu'inquiets, Mounia et Enguerrand lui emboîtèrent le pas. Lina sans les attendre marchait d'un pas sûr vers l'étable accrochée au mur nord de la maison. Il fallait contourner la bâtisse pour y pénétrer.
Ils s'y retrouvèrent à l'abri des oreilles juvéniles, à quelques pas du mulet, rentré pour la nuit, qui mâchonnait son foin. Lina piqua le sol de terre battue et y traça une croix.
— À la faveur d'une nuit, Juan est revenu, deux mois avant votre arrivée ici, dit-elle.
Enguerrand posa une main compréhensive sur son poignet qui emprisonnait l'arme et l'immobilisa. Le regard de Lina passa de l'un à l'autre.
— Les enfants dormaient et à voir son allure de forban, j'ai cru qu'il s'était échappé du navire qui l'avait capturé puis enrôlé.
— Il n'en était rien, n'est-ce pas ? demanda Mounia.
Lina secoua la tête.
— Quelques jours plus tôt, ils avaient attaqué un navire marchand sans savoir que des hospitaliers s'y étaient embarqués. Les pirates avaient finalement emporté la partie, mais au prix de la vie de nombre d'entre
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