Le Chant des sorcières tome 2
L'œil planté sur le profil en mouvement de son frère, il tenta de chasser tout à fait son rêve, mais l'angoisse d'en être rattrapé l'empêcha de replonger dans le sommeil. En désespoir de cause, il s'extirpa du lit, longea la couche de son père et, après avoir enfilé ses braies, gagna la porte qu'il repoussa dans la nuit. La cour était déserte, assombrie par l'ombre du château de Sassenage. Il contourna le donjon d'un pas traînant, les mains sur les reins pour étirer son dos. Dans quelques heures il serait au fournil et une journée de plus s'écoulerait. Il se retrouva devant la porte du forgeron comme chaque fois que le sommeil le désertait. L'appel de la lame. Du sang. De la vengeance. Le quitterait-il un jour ? Pas avant que le baron et cette garce aient payé, grinçait son âme. Et tout à la fois, il le savait, l'amour qu'il continuait de porter à Algonde le bouleversait.
Un bruit métallique froissa le silence. Mathieu se figea, les sens aux aguets. Il venait de l'intérieur de la petite bâtisse. Le jouvenceau recula en voyant la porte s'entrebâiller. Couverte d'un mantel, les cheveux retenus par son bonnet de nuit, Fanette sortit, une cruche dans une main. Elle s'immobilisa sur le seuil pour dissimuler par habitude un bâillement derrière l'autre. Cette précaution incongrue amusa Mathieu.
— Crois-tu que les chauves-souris se soucient des bonnes manières ? se moqua-t-il en s'approchant d'un pas.
Elle sursauta, étouffant un cri de frayeur et de surprise dans son geste inachevé. Mathieu fondit sur elle.
— Chut ! Tu vas alerter les gardes. Ce n'est que moi.
La jouvencelle serra par réflexe les pans de sa mante sur sa poitrine.
— Que fais-tu là ?
— Pas sommeil. Et toi ?
Elle lui montra la cruche.
— Il n'y avait plus d'eau et la gorge me brûle.
— Je peux t'accompagner ?
Fanette balaya du regard le chemin de ronde. Rien ne semblait bouger de ce côté. Il y avait fort à parier que les veilleurs s'étaient assoupis. On ne les surprendrait pas.
Pour toute réponse, elle allongea son pas et le laissa en prendre le rythme jusqu'au puits tout proche. Le seau, plein, était posé sur la margelle à hauteur de nombril. Tournant le dos à Mathieu, elle y plongea sa cruche en silence, gênée de cette promiscuité que l'obscurité leur offrait.
Mathieu y était sensible lui aussi. Depuis qu'il avait quitté le repaire des malandrins où une catin lui avait offert sa couche, il n'avait plus goûté au corps d'une femme. Gâté par le souvenir de celui d'Algonde. Respectueux de Fanette. Cette nuit pourtant, lourde de parfums printaniers, son désir affleura la toile de ses braies.
Sa gorge se noua. Instinctivement il s'avança plus près. Sa voix se fit rauque :
— Fanette…
Le cœur de la jouvencelle se mit à cogner dans sa poitrine.
— Écarte-toi. Je pourrais te mouiller.
Il se colla à elle et emprisonna avec douceur la main qui serrait l'anse de terre cuite.
— Laisse-moi faire…
Elle déglutit. De quoi parlait-il ? De ce mouvement qui l'aidait à soulever la cruche emplie ou de cette bouche qui dans le même temps glissait dans son cou.
— S'il te plaît, Mathieu… supplia-t-elle, si troublée que la gorge lui brûlait plus encore.
Guidée par le jouvenceau, elle posa le broc à côté du seau pour pivoter dans ses bras.
— Il ne faut…
Sa résistance se noya dans le baiser qu'il lui imposa. Il la cabra contre la margelle, bousculant la cruche qui vacilla. Elle se brisa sur le sol dans un bruit mat qui ramena la jouvencelle à la réalité. Elle le repoussa d'une main ferme, recouvra son souffle.
— Je te veux, Algonde, là. Maintenant, haleta Mathieu brouillé par l'intensité de son désir, par le voile de nuit sur les traits de la jouvencelle.
Le visage de Fanette se crispa sous l'injure. Algonde. Toujours Algonde. Avait-elle été stupide à le croire sincère ces derniers mois ! Qu'était-elle pour lui sinon une distraction pour mieux oublier l'autre ! Sa main balaya la joue qui cherchait de nouveau la sienne. Mathieu recula, ahuri par la violence de la gifle. Avait-il seulement entendu le nom qu'il venait de prononcer ? Fanette éclata en sanglots et parce qu'il lui barrait le passage pour rentrer chez elle, s'enfuit de l'autre côté, sous l'arceau de pierre qui menait à la fauconnerie.
Le sang de Mathieu lui battait les tempes et le bas-ventre. Inconscient de son lapsus, il pensa que la belle voulait l'attirer
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