Le Chant des sorcières tome 2
Ils débouchèrent ainsi sur le plateau rocheux dont la désolation l'avait surprise la première fois. À présent, l'attachement qu'elle éprouvait pour les occupants de la masure ne retenait plus que la beauté sauvage de ces ruines découpées dans un azur que la mer prolongeait à l'horizon.
— Par là, affirma Enrique en désignant du doigt le goulet d'une aiguille de pierre par lequel on pouvait atteindre le bas de la falaise.
À quelques pieds de la tour de guet, quelques marches de granit aidaient autrefois à la descente, mais l'érosion avait fait son œuvre et les pierres taillées ne dépareillaient plus des rochers.
Mounia hocha la tête, mais préféra tourner l'angle du vieux mur. Le mulet attaché à un piquet à la fraîcheur de la petite bâtisse releva les oreilles à son approche. Les planches gisaient sur le sol, à côté d'une échelle appuyée contre le flanc ébréché qu'on avait colmaté de frais. Visiblement, Enguerrand avait commencé l'ouvrage mais s'était arrêté.
— Ils sont tous en bas…
Mounia sursauta.
— Même ta mère ?
Enrique hocha la tête, le visage fendu d'un large sourire et les yeux brillants de l'importance de son secret.
Mounia poussa la porte et déposa son panier sur la table avant de rejoindre le garçonnet qui trépignait.
De nouveau des martèlements répétés. La curiosité jointe à l'impatience du bambin emporta Mounia. Déjà Enrique s'aventurait dans le goulet avec une intrépidité qui la stupéfia. La descente était périlleuse. Lina elle-même ne s'y risquait jamais. Qu'était-il donc arrivé pour que tous bravent le danger ? La main en appui constant sur les excroissances rocheuses, gênée par sa jupe, Mounia progressa lentement, l'oreille aux aguets. Outre les coups qui se précisaient, des cris joyeux et des éclats de voix lui parvenaient à présent. Tout entière à sa descente, elle ne pouvait pourtant voir plus largement que ce carré de sable léché entre les rochers par une langue d'écume.
Il lui fallut arriver en bas pour comprendre.
La tempête avait dû jeter un navire contre des brisants avant de le couler. Il en demeurait des vestiges, rapportés dans la petite crique par le courant. Tout ce qui avait emprisonné un peu d'air avant d'être la proie des flots ou qui pouvait naturellement flotter était venu s'abîmer sur les récifs bordant le pied de la falaise. D'autres avaient réussi à passer et s'étaient miraculeusement retrouvés prisonniers derrière. C'était le cas d'une malle de laquelle des étoffes détrempées s'échappaient et d'une dizaine de petits tonnelets. Entouré de Lina et des enfants au grand complet, Enguerrand s'appliquait à briser un à un leurs couvercles.
— C'est en allant ramasser des coquillages pour le déjeuner qu'on les a trouvés, Paulo et moi, se rengorgea Enrique devant Mounia, stupéfaite. Aye, c'est la Madonna qui nous les a envoyés !
Il lui prit la main et la força à la course sur la plage étroite et encaissée. Une odeur fétide de harengs séchés leur agaçait les narines. De toute évidence, c'était le garde-manger du navire qu'ils avaient repêché. Mounia n'était plus qu'à quelques pas lorsque la hachette d'Enguerrand perça un tonnelet enduit de graisse qui se liquéfiait sous le soleil. Formant arc de cercle autour de leur mère, les enfants attendaient, fébriles, d'en connaître le contenu. Mounia vit leur nez frémir en même temps qu'une fine poussière noire s'échappait de la brèche et était emportée par la brise. Ils éternuèrent à l'unisson et Enrique se mit à rire, inconscient de ce que cela signifiait.
Comme Mounia, Lina et Enguerrand l'avaient compris quant à eux. Déjà Enguerrand les abandonnait pour se précipiter vers d'autres de même facture que le dernier, qui ondulaient, coincés par les vagues entre deux rochers.
— Aidez-moi, hurla-t-il aux aînés.
Pieds nus dans l'écume, ils les firent rouler jusqu'au sec. Abandonnant Mounia, Enrique avait couru les rejoindre et s'escrimait en tirant la langue, fort de son importance. L'Égyptienne plongea un doigt dans le couvercle éventré avant de le porter en bouche sous l'œil de Lina, hébétée.
— Du poivre. C'est du poivre ! Nous sommes riches, Lina. Riches ! se mit à rire Mounia en la prenant aux épaules.
La Sarde se jeta dans ses bras.
Quelques heures plus tard, après avoir nettoyé la crique et traîné les fûts au sec dans le ventre d'une petite grotte pour
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