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Le Chant des sorcières tome 2

Le Chant des sorcières tome 2

Titel: Le Chant des sorcières tome 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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eux.
    — Il leur fallait donc recruter en toute hâte pour recomposer l'équipage, supposa Enguerrand.
    — Juan les avait dirigés vers la passe, à la fois pour se venger des habitants, mais aussi pour avoir l'occasion de me rassurer sur son sort. Tandis que ses compagnons s'occupaient du village, lui montait en toute discrétion jusqu'ici. Seul. Il s'est prétendu heureux de cette nouvelle vie et pour m'en convaincre m'a mis en main une bourse emplie de pierreries. Sa part.
    Elle ricana, le visage voilé d'amertume.
    — Sa part contre mon fils.
    — Que s'est-il passé, Lina ? demanda Mounia avec douceur.
    — Après m'avoir éveillée en me plaquant une main sur la bouche pour étouffer ma surprise, il m'a entraînée ici pour tout m'expliquer. Je crois que c'est la mort de mon père qui m'a décidée. Ou plutôt la façon dont Juan l'a racontée, avec une pointe de mépris quand autrefois il le respectait justement pour sa grande honnêteté.
    Elle chassa l'image d'un revers de main et effaça de l'autre la croix au sol.
    — Le seul endroit sur ce promontoire où la roche cède la place à la terre. C'est Juan qui l'a découvert lorsqu'il a bâti cette étable. Moi j'ai tout de suite su ce que c'était que cette cavité. Comme chez ma cousine. La tombe d'un Géant dont le couvercle avait été ôté et qu'on avait remblayée.
    Mounia et Enguerrand échangèrent un regard triste. La démence était-elle en train de prendre Lina pour qu'elle se perde ainsi dans ces propos hachés ?
    La Sarde releva la tête et les fixa tour à tour.
    — Ne me demandez pas comment j'en ai été capable. Cet homme en face de moi n'était plus celui que j'avais aimé. J'ai refusé qu'il emmène notre aîné. J'ai refusé qu'il pose ses mains sur moi. Je lui ai demandé de partir et de nous laisser en paix. Il s'est mis en colère, il m'a frappée et profitant de ce que je trébuchais a dégainé son sabre. Il s'est jeté sur moi. Il m'a appliqué le fil contre la gorge. Je ne crois pas qu'il m'aurait tuée. Je crois juste qu'il avait espéré que rien ne changerait. Il m'aimait, Mounia. Il ne cessait de le répéter. Je le lisais dans ses yeux, mais ses yeux étaient ceux d'un monstre. J'ai fermé les miens. Il a ôté sa lame pour me prendre. Mes doigts ont rencontré le pommeau sans que je le cherche. Tout s'est passé si vite, acheva-t-elle dans un hoquet, soudain rattrapée par le poids de ses actes.
    Elle chancela et l'arme chuta dans la poussière. Enguerrand se baissa pour la ramasser tandis que Mounia entraînait Lina vers la charrette dont une roue était brisée. La Sarde s'assit sur l'angle du plateau arrière et, gardant ses doigts noués à ceux de Mounia, désigna l'emplacement qu'ils venaient de quitter d'un mouvement du menton.
    — Je l'ai enterré là avec mes vêtements couverts de sang et son butin. Ensuite j'ai attendu, armée de son sabre. Je n'aurais pas tenu longtemps contre eux mais je ne les aurais pas laissés emmener mes fils sans réagir. Du village on ne peut voir notre maison, de la baie, pas davantage à cause des ruines. Est-ce ce qui nous a protégés, je l'ignore. Le navire a levé l'ancre. J'ai supposé qu'ils avaient dû le croire déserteur. Mais s'ils reviennent…
    Un silence lourd de complicité les enveloppa tous trois.
    — Rentrez à présent. Je vais réparer la roue de cette carriole. Dès que ce sera fait et les fûts remontés nous partirons, décida Enguerrand.
    Et sans plus attendre, il se pencha pour examiner le moyeu brisé.

16
    Cette nuit-là, comme la veille, Mathieu dormit mal. L'air était lourd à Sassenage. Il se retourna dans sa couche, avec la précaution nécessaire pour ne pas éveiller son frère qui la partageait. Le nez en l'air et la bouche ouverte, son cadet ronflait. Mathieu ébaucha un sourire. Combien de fois le lui avait-il pincé pour l'en guérir et regagner une part de silence, quand il ne laissait pas tomber dans la glotte quelque mouche attrapée en vol ? Il fut tenté d'étendre ses doigts comme autrefois mais l'envie n'y était pas vraiment. Dans la journée, grâce à la compagnie de Fanette, il parvenait à se leurrer lui-même. Mais au soir tombé, le visage d'Algonde revenait le hanter. Une fois de plus il s'était éveillé en sursaut, empli de sa présence et d'une autre, celle d'un enfançon qu'elle lui tendait en souriant de bonheur avant de disparaître avalée par les griffes de Marthe. Ce cauchemar ne finirait-il donc jamais ?

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