Le Chant des sorcières tome 3
adoptive, une putain que tous appelaient la Dame, par esprit de dérision.
Refusant d'entendre sa déception derrière la pique, Mathieu posa la main sur l'épaule de Villon.
— Algonde ne sait rien. Nous laisseras-tu aller notre chemin ? S'il faut te payer tribut, garde bœuf et charrette. Je veux recouvrer la paix.
J'ai besoin d'hommes, pas de charrues…
— Et moi j'ai besoin d'elle. Tu le sais mieux que quiconque.
— Ton braquemart, décida Villon.
Mathieu recula d'un pas.
— Je n'aurai plus rien pour défendre notre équipage si d'autres nous attaquent.
Le visage du meneur se durcit.
— C'est ton problème. Le nôtre est d'occire par les chemins et ta lame nous ira bien. Si tu la veux reprendre un jour, elle t'attendra à ma ceinture. Donne.
Mathieu déglutit. Face à lui, le groupe se resserrait autour de son chef. Ni menaçants ni complices. Solidaires d'un même choix de vie.
Il obtempéra. Le plat de la lame accrocha un rayon de lune, miroita un instant. Les doigts de Villon rejoignirent ceux de Mathieu sur l'arestuel pour prendre le relais. Il y était prêt lorsque la lumière grandit sur le tranchant, les surprenant tous deux.
— Qu'est-ce que…
Villon n'acheva pas sa phrase. Comme Mathieu, la main soudain brûlée par cette lueur bleue qui prenait l'épée tout entière, il la lâcha. Sous leur regard ahuri, loin de tomber, le braquemart auréolé de lumière demeurait suspendu dans l'air à hauteur de leur taille. Villon fit un bond de côté, rattrapé de superstition. Mathieu, saisi, fixait l'arme qui, animée à présent, se soulevait jusqu'à leur front, pointe vers la terre.
Derrière Villon, les autres avaient reculé prudemment. Mathieu reconnaissait bien cette lumière, mais il douta qu'Elora puisse la générer de si loin. Elle était trop petiote pour posséder pareil pouvoir. Présine ? Quoi qu'il en soit, perdant brusquement tout contrôle, la lame se ficha droit dans une anfractuosité de rocher qui affleurait le tertre. Villon déglutit.
— Qui donc te protège, le Mathieu de Sassenage ? Dieu ou le diable ?
Mathieu ne trouva rien à répondre et Villon céda.
— Reprends ta lame. Dans ces conditions je te la laisse.
Courbé au-dessus du roc, Mathieu tenta de l'arracher. Il n'y parvint pas. Il s'arc-bouta plus massivement. Rien ne bougea. C'était comme si l'ensemble ne formait plus qu'un seul bloc. Il s'écarta à son tour, un sourire dépité aux lèvres.
— Il semble qu'on ne veuille pas que nous nous battions pour elle.
— Un jour viendra, Mathieu, où c'est ensemble, Villon et toi, que vous la reprendrez à la pierre. Ce jour-là il pleuvra du sang autour de toi, prédit Celma d'une voix monocorde.
Les autres se signèrent aussitôt. Bien qu'habitués aux visions de leur compagne, héritière des secrets de sorcellerie de sa mère, ils éprouvaient toujours la même crainte à la voir possédée. Mathieu avait assisté à ses transes plus d'une fois. Elles rythmaient les décisions d'attaque de grands convois. Si Celma les déclarait victorieux après avoir jeté ses runes, alors ils s'élançaient le cœur vaillant. Si elle se mettait à pleurer, ils abandonnaient, certains de perdre l'un d'entre eux. Villon hocha la tête, respectueux de son pouvoir.
— Ce qui doit être sera. Rentre chez toi, Mathieu.
— Je repasserai en sens inverse dans quelques jours.
— Grand bien te fasse, lui adressa-t-il en guise d'adieu avant de tourner les talons.
Les autres lui emboîtèrent le pas, silencieux et graves. Seule Celma, revenue à la réalité, se retourna une dernière fois à mi-chemin du couvert des arbres. Son sourire était triste, pourtant elle agita le bras.
Mathieu les regarda s'enfoncer dans les bois, tenta une nouvelle fois par acquit de conscience de récupérer sa lame, y renonça, puis s'en retourna à sa garde.
Avalé par les frondaisons, Villon avait immobilisé son pas. Son amitié pour Mathieu était sincère. Il comprenait son choix, le respectait, mais avait apprécié sa présence. Du temps qu'il était resté au camp, le fardeau de cette communauté de cent hommes, femmes et enfants lui avait semblé moins lourd. Le bandit ne s'expliquait pas pourquoi. Celma lui posa chaleureusement la main sur l'épaule.
— Patience, Villon. Ce qui fait son bonheur aujourd'hui sera son malheur demain. Il aura besoin de nous. Désespérément.
Le bandit recouvrit les doigts aux ongles sales des siens, rongés à demi, et
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