Le Chant des sorcières tome 3

tendresse, en pressant la fée sur son cœur.
    Plus émue qu'elle ne s'y attendait elle-même par cette spontanéité, Présine la serra avant de s'écarter d'elle pour lui pincer affectueusement les joues.
    — Est-ce ainsi qu'il faut taquiner ses petits-enfants pour mériter ce surnom ?
    Algonde plissa le nez.
    — Tu peux t'en dispenser à dire vrai. Ta lumière me suffit bien.
    — À la bonne heure. Je n'ai jamais été à l'aise avec ces pratiques curieuses.
    Elles rirent ensemble, rattrapées par leur complicité que l'éloignement et les derniers événements avaient étonnamment renforcée. Depuis que la jouvencelle avait pour la première fois glissé dans les eaux du Furon, Présine était à ses côtés en pensée. Rien ne lui échappait. Algonde le savait.
    — Outre le bonheur de te revoir et tant de choses à te raconter, j'ai besoin d'un onguent pour Mathieu. Il s'est chicorné avec le frère de Fanette qui refuse la disparition de sa sœur.
    Le visage de la fée redevint grave.
    — Triste histoire en vérité. Mais qui nous éclaire sur l'incidence en toi du pouvoir des Anciens.
    Algonde se mordit l'intérieur de la joue.
    — Je m'en veux de ne pas avoir compris à quel point Fanette souffrait. Je crois bien l'avoir humiliée davantage en me portant au-devant d'elle.
    Présine la prit par les épaules pour l'entraîner vers un banc recouvert de coutil damassé, à quelques pas de son lit.
    — Tu n'es pas responsable de la violence qui est en elle, Algonde. Rien ne la justifie. Songe qu'une autre à ta place serait restée pour morte dans cette forêt.
    Algonde s'assit à ses côtés.
    — Enfant, elle était toujours gaie, farceuse. Mathieu, Enguerrand, elle et moi étions inséparables. Comment peut-on changer à ce point, Présine ? Mentir à ce point ? J'ai toujours cru qu'elle était mon amie quand à la vérité elle me haïssait.
    La fée haussa les épaules.
    — Chacun de nous a sa part d'ombre. Tu le sais mieux que personne. Fanette a choisi son destin. Il recroisera le tien, tôt ou tard. Ce jour-là, avertie, tu seras mieux à même d'agir et qui sait, peut-être de lui rendre sa propre lumière. Pour l'heure, il te faut l'oublier. Ton mariage avec Mathieu ne sera pas sans conséquence à la Bâtie non plus, tu t'en doutes. J'ignore comment réagira Plantine lorsqu'elle en sera informée.
    — Elle nous croit Elora et moi sous sa domination, et je ne ferai rien pour la détromper jusqu'à ce que l'enfant de la prophétie soit né.
    — Bien. Cela devrait suffire à protéger Mathieu. Sois vigilante pourtant. Elle ne reculera devant rien si, par son pouvoir d'introspection, elle découvre que tu lui mens. Je vais t'apprendre quelques astuces pour le contrer. M'as-tu rapporté le flacon pyramide ?
    Algonde le tira de la bourse pendue à sa ceinture.
    — Avais-tu confié l'un des trois au prince Djem ?
    Les sourcils de Présine se froncèrent.
    — Comment l'as-tu appris ?
    Tandis qu'elle se levait pour ranger la fiole et préparer ce que la jouvencelle lui avait demandé, Algonde lui relata le vol dont Djem avait été victime.
    Le visage de Présine se ferma et Algonde mesura aussitôt la gravité de l'acte.
    — Penses-tu que cette Mounia sache la vérité ?
    — Des bijoux auraient bien mieux servi ses intérêts. Si Houchang, parti à sa recherche, ne la retrouve pas, je me lancerai moi-même sur ses traces.
    — Je sais aussi pour le troisième flacon, avoua Algonde.
    Présine hocha la tête, visiblement navrée.
    — Je me serais volontiers dispensée de le confier à sœur Albrante mais je n'avais pas le choix. Je ne t'ai pas tout dit, Algonde. Marthe possède un autre pouvoir bien plus dangereux, celui de déposséder les êtres de leur mémoire.
    Algonde frissonna.
    — Comment ?
    — De la manière la plus simple qui soit. Il lui suffit de piquer un de ses ongles entre les yeux de sa victime pour la laisser évidée de sa substance, de ses souvenirs, et souvent de sa vie. Jeanne de Commiers en a fait les frais.
    — Le baron m'a raconté.
    — Pas tout, hélas. Jeanne a toujours eu des visions. J'ai compris trop tard qu'elle en avait eu une à propos de l'enfant de la prophétie. Je n'ai pu empêcher Marthe de lui nuire. J'ai donné l'élixir à sœur Albrante dans l'espoir que Jeanne survive. Mais sa mémoire n'est pas revenue. Alors j'ai décidé d'employer d'autres moyens, un moyen terrible. Jeanne avait donné le prénom de Philippine à