Le Chant des sorcières tome 3

forgeron perdit tout contrôle. Avant que son père ait rien pu empêcher, il fondit sur le panetier et lui sauta sur le dos. Ensemble, emportés par son élan, ils roulèrent à terre. Le forgeron, les bras ballants, n'osait intervenir. Cette histoire-là, c'était à eux de la régler. Entre hommes. Il se contenta de retenir son cadet qui voulait s'en mêler.
    — Je vais te saigner, beugla le Bertrand qui dépassait Mathieu d'une tête.
    Le jouvenceau n'avait d'autre choix que se défendre.
    Ayant appris auprès des brigands le moyen de compenser son infirmité, Mathieu empoigna son assaillant par le col, releva un genou et, s'en servant de levier, donna un coup de rein pour le basculer en arrière. Puis il se releva prestement, le visage tuméfié. Les poings en avant, il attendit que le Bertrand revienne à la charge.
    — Je suis pas responsable. J'aurais épousé ta sœur s'il y avait pas eu la petiote, tu le sais ! plaida-t-il.
    Vrai ou pas, Algonde reçut l'argument en plein cœur.
    — Veux rien savoir. Tu paieras pour ça, grommela le Bertrand en fonçant tête basse, les poings fermés.
    Refoulant en elle son envie d'empêcher leur combat, Algonde recula pour leur laisser la place de s'empoigner de nouveau et de rouler dans la poussière. L'agilité de Mathieu compensant la force brutale de Bertrand, ils s'abîmèrent de longues minutes durant jusqu'à ce que ce dernier, reprenant le dessus, se mette à serrer la gorge du panetier.
    Écrasé par son adversaire, Mathieu hoqueta d'étouffement. Cette fois Algonde ne pouvait rester stoïque. Elle allait se jeter entre eux lorsque la mère de Fanette s'interposa. Levant sa canne, Cunégonde l'abattit sur les fesses de son fils.
    — Assez, garnement ! Un mort suffit bien à cette maisonnée.
    Comme il refusait d'obéir, elle lui cingla les épaules.
    — Lâche-le, j'ai dit !
    À regret, Bertrand obtempéra.
    — Quitte Sassenage au plus vite et n'y reviens pas, menaça-t-il Mathieu qui reprenait son souffle.
    Remis debout, échevelé, griffé, gonflé et bleui de coups, Bertrand se tourna ensuite vers Algonde, l'air mauvais.
    — Quant à toi, la catin du baron, viens pas traîner par chez moi ou…
    Algonde blêmit sous l'injure plus que sous la menace que les badauds, rameutés par la bagarre, ne pouvaient pas ne pas avoir entendue. Mathieu tenta de se relever, mais, la glotte trop longtemps écrasée, il peinait à respirer et retomba lourdement sur le derrière. Ce fut Cunégonde, rouge soudain d'ulcération, qui de nouveau intervint. Son bâton s'écrasa sans mollice sur les reins de son fils.
    — … ou quoi ? Y a pas de vengeance qui vaille ce prix-là. Avise-toi donc de la forcer et je t'arrache le vit avant de le clouer au portillon !
    Bertrand passa une main aux phalanges rougies de sang sur ses côtes. Son regard dur plia sous celui, sans concession, de sa mère.
    — Il suffit, garçons. L'honneur de Fanette est lavé. Je ne veux plus en entendre parler, décréta Cunégonde en saluant tour à tour Mathieu et Algonde d'un signe de tête.
    De nouveau voûtée par le chagrin, elle tourna les talons et, traversant la foule des badauds qui s'écarta sur son passage, s'en retourna chez elle, bientôt suivie par les siens.
     
    — Je vais m'enquérir du curé, déclara Gersende en rejoignant Algonde qui s'était avancée pour juger de l'état de Mathieu.
    De fait, le jouvenceau faisait peine à voir.
    — Suis-je donc si mal en point ? eut-il la force de plaisanter.
    Gersende lui offrit une main secourable pour l’aider à se remettre debout.
    — Grand Dieu non ! C'est juste une chatouillée, bien méritée d'ailleurs. Mais il ne faudrait pas qu'il y en ait d'autres. Plus vite nous serons mariés, Janisse et moi, plus vite vous reprendrez la route. Quant à toi, Algonde, rends-toi donc chez la sorcière pour demander un onguent. Ton époux pisse le sang par l'arcade et cette nuit il me salirait les draps.
    *
    Marie de Dreux dansait d'un pied sur l'autre devant la tente carrée attribuée à Laurent de Beaumont, guidée jusqu'à elle par ses couleurs qui claquaient au vent. Se pressant les mains, elle était indécise. Son cœur lui hurlait de franchir le seuil, la bienséance de s'en détourner au plus vite. Autour d'elle, indifférents à son tourment mais pas à sa joliesse, les chevaliers qui s'en revenaient au camp pour se débarrasser de leur armure s'attardaient plus qu'il ne fallait sur sa silhouette gracile. Les yeux