Le Chant des sorcières tome 3
rengorgea d'importance.
— Je me fais fort d'obtenir ses aveux pendant que le prévôt s'acharnera sur son prisonnier. En vain d'ailleurs. Je connais ce genre d'individu. Accuser un autre ne servirait qu'à asseoir sa complicité et à le condamner. Il ne parlera pas.
Refoulant sa rancœur, Djem le lui concéda.
— Comment comptez-vous vous y prendre ?
— Plus que tout, maître Conan aime sa fille. Cette nuit même, je la ferai enlever et conduire à l'écart de la ville. Il suffira qu'un message parvienne à son père à l'aube pour qu'il la croie prisonnière du Génois.
— Quel genre de message ?
— Dreux a échoué dans sa mission en se trompant de cible. L'argent contre Marie me semble un argument plausible.
— Je vois.
— Le grand prieur à qui j'ai confié mes conclusions m'accorde sa confiance et les pleins droits. Il ne manque que votre accord pour agir.
— Et si vous vous trompez ?
— Maître Conan viendra quérir votre aide plutôt que se rendre seul à l'endroit qu'on lui indiquera.
Djem pivota pour gagner la fenêtre. Les mains croisées dans le dos, il laissa son regard se perdre dans la rue. À cette heure de la journée, les gens la remontaient en bavardant pour se rendre à la messe, apostrophant les boutiquiers qui fermaient leurs devantures.
Contre son gré, il devait reconnaître en la défaveur du drapier le discours de Philibert de Montoison. Son cœur se pinça. Il avait pris en affection l'exubérance du bonhomme. Menterie. Il serra les mâchoires avec rage.
— Faites. Mais à une condition.
— Laquelle ?
— Je serai des vôtres pour le confondre.
— Cela va de soi, lui accorda Philibert de Montoison avec délectation avant de se retirer, doublement satisfait.
Outre le plaisir qu'il prendrait à rabattre l'orgueil de maître Conan, il en espérait un autre de sa fille. Ne pouvant demeurer plus longtemps loin du service du roi, Laurent de Beaumont était reparti la veille, juste après que ses fiançailles avec Marie eurent été proclamées. Non, songea-t-il, il n'attendrait pas leur hymen pour se venger.
*
Au château de Sassenage, en la petite chapelle, dame Gersende et maître Janisse, debout devant le curé, ému, s'accordèrent d'un « oui » massif à ses commandements. La nef était pleine et un « Hurrah ! » s'envola lorsqu'ils échangèrent un baiser, plus timide que leur tempérament ne le voulait. C'était fait, ils étaient désormais mari et femme, pour le pire et le meilleur de ce que leur vie déjà bien entamée leur réservait. Mathieu et Algonde, la gorge nouée, attendaient que le prêtre les appelle à leur tour. L'homme qui les avait vus naître avait insisté pour bénir lui aussi leurs anneaux, affirmant que ce ne serait pas pécher que de consacrer ici aussi ces épousailles dont tous se réjouissaient.
Tandis que Gersende et Janisse s'écartaient, ils s'avancèrent donc, dans leurs habits du dimanche, bien plus troublés qu'ils ne l'avaient été à la Bâtie. D'un même geste, ils tendirent leurs doigts entremêlés sous l'œil bienveillant du père Vincent.
— Ce que Dieu a uni, mes enfants, nul en ce monde ne peut le dénouer. Soyez à jamais l'un pour l'autre et l'autre pour l'un, tels que vous le fûtes jusqu'à ce jour et depuis votre enfance. Tels que le Seigneur lui-même en vous donnant la foi et la force de vaincre les épreuves vous a accompagnés déjà dans l'adversité.
— À jamais tienne, répéta Algonde en plantant son regard de mousse dans celui de son époux.
— Jusqu'à ce que la mort nous sépare, lui promit Mathieu.
L'abbé Vincent les bénit d'un signe de croix au-dessus de leurs anneaux, un franc sourire aux lèvres, avant d'écarter les bras et de se mettre à chanter.
*
Une nuit sans lune emprisonnait à présent la bonne ville de Romans, ranimant les pérégrinations des coupe-jarrets au long de ses ruelles étroites et, dans les tavernes glauques, les danses lascives des filles de joie.
Dans son lit, le front ruisselant de fièvre, maître Conan essuyait un nouveau cauchemar. Sa femme avait déserté sa couche. Refusant désormais celle d'un assassin, elle avait pris ses quartiers dans la chambre de son fils défunt et y trouvait, elle, un sommeil qui l'avait fuie depuis son trépas.
Un hibou qui avait élu domicile dans les combles battit des ailes avant de se caler, immobile et veilleur, sur une poutrelle. Marie n'entendit pas qu'on escaladait son balcon et repoussait
Weitere Kostenlose Bücher