Le Chant des sorcières tome 3

souffre moi-même. Je veux lui arracher les membres un à un puisque je suis amputé. Il souffrira mille morts pour une seule. Une seule mais qui valait toute une armée.
    Malgré sa détermination à se comporter comme si de rien n'était, Conan de Dreux avait dégluti, livide. Repoussant sa peine, Djem s'était mis à rire en le prenant aux épaules.
    — Les Turcs ont la vengeance subtile, mon ami. Je conçois qu'elle vous choque. Allons, reprenez des couleurs et festoyons à la mémoire de mon frère.
    Conan de Dreux avait levé son verre, se gardant de trop boire pour ne pas s'épancher. Mais depuis, il savait que ses jours étaient comptés.
    — Un drapier. Oui. Un drapier serait le mieux pour enrichir mon commerce, répéta-t-il dans le tumulte.
    Les chevaliers avaient tous déserté la place et le héraut annonçait que, pour départager ceux qui étaient restés en selle, le lendemain les verrait s'affronter en combats singuliers avec des épées émoussées.
    Il haussa les épaules en s'arrachant de son siège, puisque l'heure était venue de le quitter. De toute manière, sa clientèle serait perdue si la vérité éclatait. Alors, somme toute, pour sauver son nom du déshonneur, le page d'un roi…
    Son regard accrocha celui du prince qui, lui aussi, s'était redressé. Le Turc le salua d'un signe de tête. Il le lui renvoya, un frisson glacial le long du dos, en se demandant combien de temps il lui restait avant de mourir torturé.
     

8
    Ils avaient abandonné les recherches après avoir retrouvé le sac de Fanette sur la rive du petit réservoir formant les Cuves du Furon. Au grand désespoir de ses parents, les braves gens de Sassenage en avaient conclu qu'elle avait été emportée par le torrent. Suicide ? Accident ? Le prêtre du village opta pour la seconde hypothèse afin qu'une messe soit dite.
    Ce matin du 7 juin, Algonde et Mathieu s'y rendirent, la tête basse et le cœur gros.
    Le forgeron était venu les voir au lendemain de la triste découverte.
    — Elle s'est enfuie comme tu l'as fait Mathieu, prise de chagrin et d'amertume. Sans doute avait-elle besoin de réfléchir pour mieux vous pardonner et, voulant laver ses paupières, aura glissé sur la berge. Les bordures sont traîtresses en cette saison.
    Il avait dodeliné de sa tête massive, les mains pétrissant son chapel de feutre qu'il avait enlevé pour leur parler. Il en avait détaché une pour la poser sur l'épaule de Mathieu, défait et silencieux. Comme Algonde, dans cette cuisine désertée où tous deux étaient descendus prendre leur matinel, il ne savait que dire, puisque la vérité lui était interdite.
    — Je t'aime bien, mon p'tiot. Toi et la bécaroïlle vous êtes faits l'un pour l'autre, c'est des choses qu'on sent. Je vous en veux pas de ce qui est arrivé. Mon épouse et mes fils par contre…
    — C'est normal, le Jeannot. C'est normal.
    Le forgeron avait remonté sa main pour lui tapoter la joue. Cillant pour retenir la brume de ses yeux, il les avait enveloppés tous deux d'un regard affectueux.
    — Si vous voulez un conseil, tardez pas à repartir. Votre place est plus chez nous.
    — Sitôt les noces de ma mère et de Janisse. Elles seront discrètes au regard de ce malheur, avait assuré Algonde, un sanglot dans la gorge.
    Jeannot s'en était retourné, le pas traînant, et le matinel des jeunes épousés était demeuré dans l'écuelle. Algonde s'en voulait de s'être laissé surprendre par la violence de Fanette et, du coup, de n'avoir pu la retenir. Sa seule consolation avait été de découvrir la puissance de vie de l'élixir des Anciens en elle. Était-elle devenue immortelle ? Au vu du sang qu'elle avait perdu avant que sa blessure ne se referme spontanément, elle pouvait le croire. Elle n'en avait rien dit à Mathieu. Non loin de là se trouvait une petite source où elle avait rincé ses vêtements. Quelques traces y étaient restées qu'elle avait justifiées par une chute de cheval. L'animal s'était enfui. Elle était rentrée à pied. Bredouille dans ses recherches. C'était tout ce que l'on devait savoir. Mathieu compris. À quoi bon le culpabiliser davantage ? Il s'en voulait bien assez déjà.
    Le corps de Fanette n'ayant pas été retrouvé, la messe à sa mémoire fut sobre. La prière, relayée par-delà les portes de la chapelle. Au sortir, tous s'éparpillèrent, repris par leurs tâches. Algonde et Mathieu s'écartaient à leur tour lorsque, les apercevant, l'aîné du