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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qu’il faut demeurer, combien de temps encore, dans cette école de Brienne. Pour s’en échapper, il doit se maîtriser davantage, parce qu’il est, à quinze ans maintenant, un homme en charge du destin de sa famille.
    D’ailleurs, en août 1784 il n’est plus seul à Brienne. Son frère Lucien est avec lui à l’école depuis le mois de juin.
    Grand moment que ce mois.
    Le 21, on a demandé Napoleone Buonaparte au parloir. Il s’y rend. Et là, dans la grande pièce, le père, Charles Bonaparte, en compagnie de l’un de ses fils, le frère cadet, Bonaparte, Lucien, l’attend.
    Napoléon ne s’élance pas. Il se cabre au contraire, pour ne pas se briser sous l’émotion. Car cela fait plus de cinq années qu’il n’a vu aucun membre de sa famille.
    Il regarde fixement son père. Il retrouve cet homme de haute taille, sec, maigre, portant perruque en fer à cheval avec une bourse et un double cordon de soie noire qui en sort et vient se rattacher au jabot. Il lui semble ne l’avoir jamais quitté. Charles Bonaparte est toujours élégant, en habit de soie passementé avec des brandebourgs, et il porte son épée au côté.
    Et pourtant, les traits sont tirés, le teint jaune. Charles Bonaparte, qui vient de conduire à Saint-Cyr sa fille Marianna Élisa ainsi que deux cousines, se plaint de sa santé. Il explique à son fils qu’il vomit tout ce qu’il avale et que ses douleurs d’estomac sont de plus en plus aiguës.
    Bonaparte écoute, son frère Lucien l’observe et s’étonne de cette absence de démonstrations de tendresse ou d’émotion.
    Mais quand Bonaparte apprend que Joseph, son aîné, a décidé de quitter le collège d’Autun, de choisir lui aussi la carrière des armes, il argumente avec l’autorité d’un chef de famille, sûr de lui, comme si la maladie de son père le poussait aussitôt à assumer ce rôle.
    L’entrevue dure peu. Lucien reste à Brienne. Bonaparte le surveillera, le guidera. Charles Bonaparte se rend à Paris et annonce qu’il repassera par Brienne à son voyage de retour vers la Corse.
    Bonaparte l’accompagne jusqu’à leur voiture.
    Lorsque les chevaux s’ébranlent, il se tourne avec brusquerie vers Lucien, lui parle sur le ton d’un maître.
     
    Il a quinze ans. Il a déjà changé de rôle.
    Le 25 juin, il prend la plume.
    L’écriture est penchée, les fautes nombreuses, mais l’expression claire, la pensée forte. C’est un adulte de quinze ans qui s’exprime en s’adressant à son oncle Fesch. Il juge les uns et les autres, son frère cadet Lucien – qu’on nomme, parce que cadet, le Chevalier –, son aîné, Joseph. Chaque phrase indique un homme qui plie ses sentiments à sa raison.
    Un homme – quinze ans à peine ! – qui pense par lui-même, forge seul son jugement. Il s’est construit une pensée personnelle en s’opposant à ceux qui l’entouraient. L’enfant qui a dû se défendre, se fermer pour ne pas se dissoudre dans la nostalgie, la tristesse, ou se fondre parmi les autres, est devenu une personne autonome, indépendante, sachant analyser et trancher, conclure.
    Quinze ans !
    Il écrit :
    « Mon cher oncle :
    « Je vous écris pour vous informer du passage de mon cher père par Brienne. Il a laissé ici Lucciano, qui est âgé de neuf ans et grand de trois pieds, onze pouces, six lignes 2 . Il est en sixième pour le latin, va apprendre toutes les différentes parties de l’enseignement. Il marque beaucoup de dispositions et de bonne volonté. Il faut espérer que ce sera un bon sujet. Il se porte bien, est gros, vif et étourdi, et pour le commencement on est content de lui. Il sait très bien le français et a oublié l’italien tout à fait…
    « Je suis persuadé que Joseph mon frère ne vous a pas écrit. Comment voudriez-vous qu’il le fît ? Il n’écrit à mon cher père que deux lignes, quand il le fait. En vérité, ce n’est plus le même… Quant à l’état qu’il veut embrasser, l’ecclésiastique a été comme vous le savez le premier qu’il a choisi. Il a persisté dans cette résolution jusqu’à cette heure où il veut servir le roi : en quoi il a bien tort par plusieurs raisons… Il n’a pas assez de hardiesse pour affronter les périls d’une action. Sa santé faible ne lui permet pas de soutenir les fatigues d’une campagne, et mon frère n’envisage l’état militaire que du côté des garnisons… Il se tirera toujours bien d’une société, mais d’un combat ? »
    Et

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