Le chant du départ
Il est couvert de dartres, et ces sortes de maladies accroissent sa violence et son activité.
« Cet homme est toujours occupé de ses projets, et cela, sans distraction. Il dort trois heures par nuit, ne prend des remèdes que lorsque les souffrances sont insupportables.
« Cet homme veut maîtriser la France et, par la France, l’Europe. Tout ce qui n’est pas cela lui paraît, même dans ses succès, ne lui offrir que des moyens. Ainsi il vole ouvertement, il pille tout, il se forme un trésor énorme en or, argent, bijoux, pierreries. Mais il ne tient à cela que pour s’en servir. Ce même homme qui volera à fond une communauté donnera un million sans hésiter à l’homme qui peut le servir… Avec lui un marché se fait en deux mots et deux minutes. Voilà ses moyens de séduire. »
Suis-je ainsi ?
Napoléon sort dans le parc du château de Mombello.
Il marche. Le vent s’est levé en bourrasque comme souvent le soir, après les violentes chaleurs de l’après-midi. L’orage n’éclate pas toujours, mais l’air est si chargé de foudre qu’il crépite, et parfois semble se déchirer. Les éclairs illuminent le ciel noirâtre au loin, vers les lacs et les montagnes.
On me voit ainsi. Mes ennemis .
Vouloir devenir, vouloir imposer sa marque, c’est susciter la calomnie, la haine des envieux, des rivaux.
On ne peut être sans ennemi. Ceux qui ne sont pas haïs ne sont rien. Ne font rien.
Suis-je ainsi ?
Je suis .
27.
Il pleut. Toute la vallée du Tagliamento est envahie de nuages bas. C’est la fin du mois d’août 1797. Napoléon est sur le perron du château de Passariano. De là il aperçoit, au bout de la grande allée plantée de peupliers, les voitures des plénipotentiaires autrichiens qui s’éloignent. Ils sont installés non loin du château, à Campoformio. D’autres ont choisi d’habiter Udine. Mais ils viennent négocier ici, au château de Passariano. Ni le comte Louis de Cobenzl, un diplomate aguerri, ni le marquis de Gallo, ni le général comte de Merveldt ne paraissent pressés de conclure la paix. Ils continuent de discuter des Préliminaires signés à Leoben.
Ils jouent de leur frivolité et de leur élégance, de leur art de la conversation, pour faire passer les journées. Ils font leur cour, en aristocrates maniérés, à Joséphine de Beauharnais. Ils participent même aux jeux de cartes ou de dés que, pour tromper l’ennui, Joséphine organise.
Napoléon entre dans le château en claquant les portes. Il n’est pas dupe. Ces diplomates attendent les événements de Paris. Ils espèrent que, dans la lutte qui divise le Directoire, les partisans de Pichegru, les royalistes, les membres du club de Clichy l’emporteront. Alors adieu, la paix. Ce sera le retour de la monarchie à Paris.
Impossible. Quel serait mon destin ?
Napoléon a agi. Des proclamations, des journaux ont été répandus par milliers auprès des soldats de l’armée d’Italie. « Soldats, vous vous devez tout entiers à la République… Soldats, les royalistes, dès l’instant qu’ils se montreront, auront vécu… Guerre implacable aux ennemis de la République et de la Constitution de l’An III », ont-ils pu lire.
Mais la manoeuvre est compliquée. Il ne faut pas trop se découvrir. Napoléon répète à Lavalette : « Voyez tout le monde, défendez-vous de l’esprit de parti ; donnez-moi la vérité, et donnez-la-moi dégagée de toute passion. »
Comment choisir une stratégie, si les brouillards ne sont pas dissipés ?
Lavalette explique : Barras et La Révellière-Lépeaux ont fait appel au général Hoche et à son armée pour exécuter un coup d’État antiroyaliste. Mais le général, après s’être engagé, a reculé devant les attaques et les intrigues. Les Directeurs cherchent un autre sabre.
Je ne serai plus le général Vendémiaire .
Mais voici Augereau, que Napoléon délègue avec trois millions pour Barras. Il agira. Napoléon a reçu une lettre de lui peu après son arrivée à Paris : « Je promets de sauver la République des agents du Trône et de l’Autel. »
Lavalette conseille à Napoléon de se tenir personnellement à l’écart, de ne pas compromettre sa gloire de général vainqueur dans les répressions qui se préparent à Paris.
« Ont-ils reçu les papiers de D’Antraigues ? » demande Napoléon.
« Ils seront le prétexte à la répression, et le coup de grâce, précise Lavalette. Les victimes sont déjà désignées. On
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