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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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veut-il ? On compte sur lui pour que le pays enfin s’apaise, et que les coups d’État ne se succèdent plus. Il devait donc laisser entendre qu’il partage ce sentiment.
    Dans la journée qui suit cette cérémonie, il reste chez lui, rue de la Victoire. Bourrienne lui rend visite. Il était présent au palais du Luxembourg.
    — Cérémonie d’un froid glacial, dit-il. Tout le monde avait l’air de s’observer, et j’ai distingué sur toutes les figures plus de curiosité que de joie ou de témoignage de vraie reconnaissance.
    Ils ont peur, explique Napoléon, ils me haïssent.
    Il montre une lettre reçue le matin même qui assure qu’un complot existe pour l’empoisonner.
    — Ceux qui m’acclamaient, dit-il, m’eussent volontiers étouffé sous les couronnes triomphales.
    Prudence, donc. Il faut voiler sa gloire et son orgueil, veiller à rester en vie.
    Il demande à un serviteur fidèle, ancien soldat, de l’accompagner. C’est lui qui sert à table et verse son vin.
    Sieyès et François de Neufchâteau, entre lesquels Napoléon est assis au banquet offert en son honneur par les deux assemblées, le Conseil des Anciens et celui des Cinq-Cents, s’étonnent de ces précautions. Déjà ils ont été surpris de le voir arriver en « voiture fort modeste », vêtu d’un costume civil mais avec des bottes à éperons comme pour pouvoir sauter sur un cheval en cas de nécessité.
    Il répond par un demi-sourire. Feignent-ils d’ignorer qu’on tue ceux qui gênent ? Lui le sait. Et il dérange. Les Jacobins le soupçonnent de vouloir établir une dictature. Les Directeurs craignent pour leur pouvoir.
    Alors, même dans ce banquet de huit cents couverts avec quatre services et huit cents laquais, trente-deux maîtres d’hôtel et du vin du Cap, de Tokay, des carpes du Rhin et des primeurs de toute espèce, son serviteur personnel changera son couvert, ses assiettes et ses verres, et lui présentera des oeufs à la coque.
     
    Chez Talleyrand, c’est autre chose.
    À dix heures trente du soir, le 3 janvier 1798, Napoléon entre dans les salons de l’hôtel de Galliffet, où Talleyrand et près de cinq cents invités l’attendent.
    Des ouvriers ont travaillé des semaines pour décorer l’hôtel. Des chanteurs, des artistes chorégraphes, des musiciens se donnent en spectacle sur des estrades dressées au milieu des salons. Partout des arbustes, et sur les murs, des copies reproduisant les chefs-d’oeuvre que Bonaparte avait conquis en Italie. Dans les cours, des soldats ont dressé leurs tentes. Les escaliers et les salons sont parfumés à l’ambre. Les femmes, habillées selon le goût romain ou grec, enveloppées de mousseline, de soie et de crêpe, ont été choisies par Talleyrand lui-même, pour leur élégance et leur beauté.
    Napoléon regarde Joséphine, nonchalante, souriante, un diadème de camée dans ses cheveux. Elle est l’une des plus belles. Elle est à lui.
    Il a ce qu’il a rêvé. Ce triomphe, ces femmes et ces hommes puissants qui l’entourent, se pressent.
    Mais il reste raide. Il a choisi de ne pas porter l’uniforme mais une redingote unie, noire, boutonnée jusqu’au cou.
    Il prend le bras de l’écrivain Arnault. Il entre dans la salle de bal où l’on valse. On tourne aussi sur un air nouveau, une « contredanse » qu’on appelle la Bonaparte .
    Il est le centre de cette fête, et pourtant il est irrité. Il se penche vers Arnault. Qu’on écarte les importuns, lui dit-il. Il ne peut pas parler librement. Ce bal donné par Talleyrand est en son honneur, mais il n’en est pas le souverain. Il aperçoit parmi les invités trois des Directeurs. Voilà le sommet du pouvoir. Cette pensée le blesse. La fête sonne faux, grince. Trop de curiosité autour de lui, et pas assez de vrai respect. Mais celui-ci ne s’obtient que lorsqu’on possède tout le pouvoir.
    Arnault, qui a été séparé de Napoléon par la foule, revient accompagné d’une femme que Napoléon reconnaît aussitôt.
    — Mme de Staël, dit Arnault, prétend avoir besoin auprès de vous d’une autre recommandation que celle de son nom et veut que je vous la présente. Permettez-moi, général, de lui obéir.
    Un cercle se forme. Napoléon regarde cette femme corpulente, qui parle avec emphase, le complimente et le questionne. Le mépris et la colère l’envahissent. Il n’est pas homme à se laisser contraindre par une femme qu’il ne désire pas. Celle-ci n’est pas seulement laide,

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