Le chant du départ
la nuit du 17 au 18 novembre 1797, il arrive à Turin.
L’ambassadeur de France Miot de Mélito l’accueille pour quelques jours dans sa résidence.
Napoléon ne peut dormir. Il va et vient dans le grand salon, regarde à peine Miot, déférent et silencieux. Napoléon se parle d’abord à lui-même dans ce moment qui est une parenthèse entre une partie de son histoire qui s’achève, et une autre qui commence et qu’il veut déjà explorer.
— Ces avocats de Paris qu’on a mis au Directoire, dit-il, n’entendent rien au gouvernement, ce sont de petits esprits. Je vais voir ce qu’ils veulent faire à Rastadt. Je doute fort que nous puissions nous entendre et rester longtemps d’accord.
Il s’interrompt. Il semble découvrir la présence de Miot, puis, sans le quitter des yeux, il ajoute :
— Quant à moi, mon cher Miot, je vous le déclare, je ne puis plus obéir ; j’ai goûté du commandement et je ne saurais y renoncer. Mon parti est pris, si je ne puis être le maître, je quitterai la France ; je ne veux pas avoir fait tant de choses pour la donner à des avocats…
À neuf heures du matin, la voiture quitte Turin.
Napoléon passe à Chambéry, à Genève, à Berne, à Soleure, à Bâle.
Il regarde ces foules qui l’acclament et, dans le reflet des vitres, il aperçoit son visage, mince, pâle, fatigué. Mais quand la voiture s’arrête, il saute à terre, vif et énergique. On l’entoure. On sollicite ses avis. Il tranche, dîne en quelques minutes, frugalement, repart à l’aube, traverse le Brisgau et arrive aux portes de Rastadt le 25 novembre au soir.
Il fait arrêter la voiture, change d’équipage. Il faut frapper le peuple. Il entre en ville dans un carrosse tiré par huit chevaux et escorté par trente immenses hussards de Veczay, aux chevaux harnachés pour la parade.
Il occupe entièrement, avec sa suite, l’une des ailes du château. Mais aussitôt il se sent englué dans ces négociations entre les diplomates. Il n’est pas le maître mais le subordonné du Directeur Reubell, qui est responsable de la diplomatie au Directoire. Autour de lui, il n’a plus ses grenadiers fidèles, ni la cour du château de Mombello. Il s’irrite. On ne peut accepter d’être rabaissé quand on a été grand.
Dans la salle des négociations, il rencontre Axel Fersen, le délégué de la Suède, qui fut l’amant de Marie-Antoinette. Il le toise.
— La République française ne souffrira pas, lui dit-il d’un ton cassant, que des hommes qui lui sont trop connus par leurs liaisons avec l’ancienne cour de France viennent narguer les ministres du premier peuple de la terre.
Puis il lui tourne le dos. Il ne supporte pas le « bavardage diplomatique ».
Le 30 novembre, pressant les diplomates, il échange les ratifications du traité. Le 2 décembre, il convoque son aide de camp Murat et lui donne l’ordre de gagner Paris afin d’y préparer son arrivée. Le 3 décembre 1797, il part à son tour. Il s’arrête à Nancy le 4, pour quelques heures.
Les francs-maçons de la loge Saint-Jean-de-Jérusalem l’accueillent et le fêtent, mais il ne répond que par quelques mots. Il est distrait. Il semble rêver. Il s’est habillé en bourgeois, et c’est en voiture de poste qu’il arrive à Paris le 5 décembre 1797, à cinq heures du soir, accompagné de Berthier et de Championnet.
Joséphine doit être sur les routes d’Italie, puisqu’il lui a donné l’ordre de regagner Paris. Il ne veut pas penser à elle. Car l’imaginer est souffrance, jalousie.
Paris est désert. Ni bruit, ni cortège.
Il rentre chez lui, rue Chantereine. Mais la rue s’appelle désormais « rue de la Victoire ».
Et le silence et la discrétion alors qu’on attend les vivats pour saluer sa gloire sont un autre moyen de surprendre.
Et comment gouverner les hommes sans les étonner ?
Septième partie
Tout s’use ici… Il faut aller en Orient
5 décembre 1797-19 mai 1798
29.
— Je dois rencontrer cet homme-là dès demain, dit Napoléon.
Il vient à peine d’arriver à Paris, et déjà il charge l’un de ses aides de camp d’un message pour le ministre des Relations extérieures du Directoire, Charles Maurice de Talleyrand-Périgord. Il ne doute pas que Talleyrand le recevra.
On devine un homme même si on ne l’a jamais vu. Et Talleyrand, depuis qu’il a été nommé ministre en juillet 1797, a fait comprendre qu’il était un allié prêt à servir pour se servir
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