Le chant du départ
anglaise. »
Il convient que lui-même n’est en rien un soutien du modérantisme.
À l’auberge de Saint-Vallier, la conversation se poursuit sur l’état de la nation. Napoléon répète ce mot. D’autres parlent du royaume . Depuis la prise de la Bastille et la réunion de l’Assemblée, argumente-t-il, c’est par Nation qu’il faut nommer la France.
Dans la chambre, plus tard, alors que Louis dort, Napoléon écrit encore. Les préoccupations politiques se sont effacées. Il se lève, ouvre la fenêtre, revient à sa table. « Le lierre s’embrasse au premier arbre qu’il rencontre, écrit-il, c’est en peu de mots l’histoire de l’amour. »
Il neige. Il veut avoir froid pour éteindre ces sentiments et ces désirs qui le troublent. Il aura bientôt vingt-deux ans.
« Qu’est-ce donc que l’amour ? écrit-il encore. Observez ce jeune homme à l’âge de treize ans : il aime son ami comme son amante à vingt. L’égoïsme naît après. À quarante ans, l’homme aime sa fortune, à soixante, lui seul. Qu’est-ce donc que l’amour ? Le sentiment de sa faiblesse dont l’homme solitaire ou isolé ne tarde pas à se pénétrer… »
Quelques pas encore à nouveau, Napoléon ouvre et ferme la fenêtre. Le silence de la neige couvre la ville et la campagne.
Napoléon écrit une dernière phrase.
« Si tu as du sentiment, tu sentiras la terre s’entrouvrir. »
Deux jours plus tard, il est à Auxonne. Il montre à Louis les casernes du régiment de La Fère, où il doit se présenter au colonel M. de Lance, et le Pavillon de la ville, où ils habiteront. Il installera son frère dans un cabinet de domestique attenant à la chambre où lui-même logera.
Sur la place de l’église, alors qu’il indique à Louis la boutique du libraire, des officiers les entourent. Ils saluent Napoléon avec froideur. Durant ses dix-sept mois de congé, le royaume et l’armée du roi ont été soumis à rude épreuve. On dit que Buonaparte, en Corse, a pris parti contre la garnison royale et MM. de Barrin et La Férandière. Pourquoi Buonaparte n’a-t-il pas agi comme M. Massoni, qui a choisi le camp du roi ?
Napoléon se défend, mais la tension monte au cours de ce premier affrontement avec des officiers « aristocrates ».
Lorsqu’il présente au colonel les certificats établis par le district d’Ajaccio, Napoléon est nerveux. Ces documents n’attestent pas seulement qu’il a voulu rejoindre son régiment dès le mois d’octobre, mais aussi qu’il a été « animé du patriotisme le plus pur par les preuves indubitables qu’il a données de son attachement à la Constitution depuis le principe de la Révolution ».
Le colonel se montre compréhensif, et soutient la demande de Napoléon d’un rappel de solde du 15 octobre au 1 er février. Napoléon est rassuré, mais il attend avec impatience la décision ministérielle confirmant le versement de la somme. Il a besoin de ces deux cent trente-trois livres, six sols et huit deniers.
Ils sont deux désormais à vivre sur sa solde. Napoléon achète lui-même la viande et le lait, le pain, discute âprement le prix des denrées, des travaux de couture. Il brosse son uniforme. Il ne se plaint jamais auprès de ses camarades. Plus tard, il confiera pourtant : « Je me suis privé, pour l’éducation de mon frère, de tout et même du nécessaire. »
Mais il fréquente toujours la boutique du libraire. Il achète cahiers, livres et journaux.
Ces derniers sont attendus à Auxonne avec la même impatience qu’en Corse, et Napoléon fait la lecture publique des articles qui relatent les événements de Paris aux sous-officiers et aux soldats acquis aux idées révolutionnaires.
Mais la nuit, quand Louis dort, Napoléon continue de travailler avec une passion que les troubles politiques qu’il suit, commente, et auxquels il a été mêlé en France et en Corse, n’entament pas.
Il lit Machiavel, une histoire de la Sorbonne et une autre de la noblesse. Parfois, le lendemain, il montre à Louis les listes de mots qu’il a dressées pour compléter son vocabulaire. Il recopie les tournures de phrases, des expressions. Il veut posséder cette langue française qu’il écrit avec fièvre.
« Le sang méridional qui coule dans mes veines, note-t-il au bas d’une lettre à son ami Naudin, commissaire des Guerres à Auxonne, va avec la rapiditié du Rhône. Pardonnez donc si vous prenez de la peine à lire mon griffonnage. »
Il relit les
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