Le chant du départ
d’horreur… Je le crois capable de volter casaque » ?
Napoléon, lorsque Joseph lui a fait part à mots couverts de ce jugement, ne s’est pas emporté : Lucien est jeune. Dix-sept ans ! Il faut le modérer. « Tu connais l’affaire d’Ajaccio ? lui écrit-il. Celle de Paris est exactement la même. Peut-être les hommes y sont-ils plus petits, plus méchants, plus calomniateurs et plus censeurs… Chacun cherche son intérêt et veut parvenir à force d’horreur, de calomnie. L’on intrigue aujourd’hui aussi bassement que jamais. Tout cela détruit l’ambition. L’on plaint ceux qui ont le malheur de jouer un rôle, surtout lorsqu’ils peuvent s’en passer : vivre tranquille, vivre des affections de la famille et de soi-même, voilà, mon cher, lorsqu’on jouit de quatre à cinq mille livres de rentes, le parti que l’on doit prendre et que l’on a de vingt-cinq à quarante ans, c’est-à-dire lorsque l’imagination calmée ne vous tourmente plus. »
Propos d’aîné à cadet qu’on veut protéger.
Mais souvent, en cette période de juin à août 1792, quand Napoléon voit la violence se déchaîner dans les rues, le désordre régner, le flux et le reflux de la foule que rien ne semble pouvoir contenir, il éprouve ce sentiment où se mêlent le dégoût de l’anarchie et l’inquiétude de ne pouvoir maîtriser cette tempête où la « populace » semble seule régner.
Le 12 juillet 1792, Napoléon trouve à son hôtel une lettre datée du 10, qui lui donne avis que le ministre de la Guerre a décidé de le réintégrer « dans son emploi au 4 e régiment d’artillerie… pour y remplir ses fonctions de capitaine ».
La réintégration à ce grade prend effet à compter du 6 février 1792 avec rappel de solde.
Napoléon écrit aussitôt aux siens. Il veut partager avec eux sa joie. Joseph lui répond avec enthousiasme. À vingt-trois ans, capitaine d’artillerie au traitement annuel de seize cents livres ! Quel succès ! Letizia Bonaparte est radieuse, elle félicite son omone . Qu’il rejoigne son régiment et reste en France.
Napoléon hésite encore, en effet. Maintenant qu’il est à nouveau inscrit dans les registres de l’armée régulière, pourquoi ne tenterait-il pas à nouveau d’agir en Corse ? Après tout, il est toujours lieutenant-colonel d’un bataillon de volontaires à Ajaccio !
« Si je n’eusse consulté que l’intérêt de la maison et son inclination, écrit-il le mardi 7 août à Joseph, je serais venu en Corse, mais vous êtes tous d’accord à penser que je dois aller à mon régiment. Ainsi j’irai. »
Dans les jours qui suivent, il se prépare au départ. Son régiment est engagé aux frontières, mais Napoléon ne peut encore le rejoindre car il n’a pas reçu son brevet de capitaine.
Il se promène dans les rues où, à chaque instant, un groupe de badauds se forme pour commenter les nouvelles. On dénonce la Cour, on l’accuse de complot avec le maréchal Brunswick, dont les troupes austro-prussiennes avancent. On rugit quand un orateur lit le Manifeste adressé par Brunswick aux Parisiens. Le maréchal promet à Paris une « exécution militaire et une subversion totale, les révoltés seront mis aux supplices si les Parisiens ne se soumettent pas immédiatement et sans condition à leur roi ».
Folie, pense Napoléon.
La « combustion » de la ville devient intense. Des bagarres éclatent entre fédérés marseillais qui chantent La Marseillaise et gardes nationaux parisiens.
Dans la nuit de 9 au 10 août, Napoléon est réveillé en sursaut.
Toutes les cloches de Paris sonnent le tocsin.
Il s’habille en hâte, se précipite dans la rue pour se rendre chez Fauvelet de Bourrienne dont le magasin est situé au Carrousel, un poste d’observation idéal.
Rue des Petits-Champs, il voit venir vers lui une troupe d’hommes portant une tête au bout d’une pique. On l’entoure. On le bouscule. Il est habillé comme un monsieur. On exige qu’il crie « Vive la nation ». Il s’exécute, le visage contracté.
Chez Fauvelet de Bourrienne, depuis la fenêtre, il assiste aux événements. Les insurgés débouchent place du Carrousel, et se dirigent vers les Tuileries.
Napoléon n’est qu’un spectateur fasciné, hostile à « ces groupes d’hommes hideux », à cette populace.
Il sait qu’il risque sa vie, mais au début de l’après-midi, alors que le palais des Tuileries a été conquis et saccagé par les
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