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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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vêtements, ses propos, c’est ce que la populace a de plus abject. »
    Tout en marchant, il maugrée. Il est officier, homme de discipline et d’ordre. La liberté, l’égalité, oui, mais sans l’anarchie, dans le respect des hiérarchies et de l’autorité. Il faut des chefs. Il a réfléchi, explique-t-il, à ce qu’il a vécu à Ajaccio durant l’émeute. L’efficacité suppose qu’il y ait un homme, le chef, qui prend la décision, l’impose et dirige l’exécution.
    Il s’exclame : « Les Jacobins sont des fous qui n’ont pas le sens commun. » Il fait l’éloge de La Fayette, que les Jacobins, précisément, peignent comme un assassin, un gueux, un misérable. L’attitude et les propos des Jacobins sont dangereux, inconstitutionnels, dit-il.
    Plus tard, dans la chambre de l’hôtel de Metz, il écrit à Joseph. « Il est bien difficile de deviner ce que deviendra l’Empire dans une circonstance aussi orageuse », note-t-il.
    Raison de plus pour que l’on se rapproche de Paoli. Lucien, le jeune frère, pourrait être son secrétaire. Quant à Joseph, qu’il tâche cette fois d’être élu député à la Convention. « Sans cela, tu joueras toujours un sot rôle en Corse. » Il répète : « Ne te laisse pas attraper : il faut que tu sois de la législature prochaine, ou tu n’es qu’un sot ! »
    Il hésite. Puis, ployant sa plume nerveusement, il ajoute : « Va à Ajaccio, va à Ajaccio pour être électeur ! » Et il souligne.
    Il se lève. Il faut choisir, c’est la loi même de la politique et de la vie, et cependant l’avenir est incertain.
    L’un des députés corses à la Législative a confié à Napoléon que le directeur des fortifications, La Varenne, dans un rapport au comité militaire de l’Assemblée, a déclaré que conserver la Corse dans l’empire français est impossible et sans utilité réelle.
    Napoléon reprend la plume et, sur ce ton de commandement qu’il emploie avec son frère aîné, il écrit : « Tiens-toi fort avec le général Paoli, il peut tout et est tout, il sera tout dans l’avenir. Il est plus probable que tout ceci finira par notre indépendance. »
    Il faut donc s’occuper des affaires corses.
    Napoléon voit de plus en plus souvent les députés de l’île. Il les courtise. Il se soucie aussi des affaires familiales, s’impatiente parce qu’il ne reçoit pas les papiers nécessaires à l’affaire de la pépinière. Puis il se préoccupe de sa soeur Élisa, pensionnaire à la maison Saint-Cyr. Mais cette institution va disparaître. Que faire de cette jeune fille de quinze ans ? La reconduire en Corse, dans la famille, ce qui obligera Napoléon à faire le voyage ? Mais comment s’en dispenser ?
    Il rend visite à Élisa à Versailles, croise des bataillons de fédérés marseillais qui clament à tue-tête ce nouveau chant de marche de l’armée du Rhin, dont ils répètent le refrain vengeur : Aux armes, citoyens, formez vos bataillons .
    « Tout annonce des moments violents, écrit Napoléon, beaucoup de monde abandonne Paris. »
    Il n’y songe pas, sinon pour raccompagner Élisa à Ajaccio. Il conserve son calme, observe, aux aguets, comme un savant regardant « un moment de combustion ».
     
    Bourrienne, parfois, entrant dans la chambre de l’hôtel de Metz, le surprend en train de faire des calculs, de tracer des trajectoires.
    Il s’étonne. Napoléon lui montre la course des astres qu’il a dessinée. « L’astronomie est un beau divertissement et une superbe science, dit-il. Avec mes connaissances mathématiques, il ne faut qu’un peu d’étude pour la posséder. C’est un grand acquis de plus. »
    Il sourit à la surprise de son camarade.
    Il aime observer, comprendre, ajoute-t-il. L’astronomie, les mathématiques, n’est-ce pas finalement plus passionnant que les actions humaines ? « Ceux qui sont à la tête sont de pauvres hommes, continue-t-il. Il faut avouer, lorsqu’on voit tout cela de près, que les peuples valent peu la peine que l’on se donne tant de souci pour mériter leur faveur. »
    Il reprend ces termes dans une lettre à son frère Lucien, qui, à dix-sept ans, s’enflamme pour les affaires politiques et juge sévèrement Napoléon. Ne vient-il pas d’écrire à l’aîné, Joseph, que « Napoléon est un homme dangereux… Il me semble bien penché à être un tyran et je crois qu’il le serait bien s’il fût roi et que son nom serait pour la postérité et pour le patriote sensible un nom

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