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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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t’ai répété ce qu’il m’a dit...
    — Je sais! si je rejoins cette commission idiote où ton mari m’a placé, on ne m’enrôlera pas de force. Je sais! mais j’ai des principes à défendre contre ces traîtres !
    L'ermite à barbe d’étoupe donna son sentiment :
    — Si les soldats ne vous prennent pas aujourd’hui, ils vous attraperont demain. Votre accoutrement vous signale.
    Saint-Aubin et Rosalie attendirent la nuit à côté d’une chute d’eau claire. Des orchestres se mettaient en place. Ils descendirent la colline qu’éclairait une multitude de lampions verts. A la barrière Montmartre les chasseurs avaient disparu avec leurs fourgons remplis de muscadins et ils n’eurent aucune peine à héler l’un de ces nombreux fiacres qui amenaient les fêtards aux Bosquets d’Idalie . Ils regagnèrent vite la rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur au centre de la ville. Ils évitèrent les salons et les invités de Delormel ; sitôt dans son appartement, Saint-Aubin tira de son coffre une redingote sombre.
    — Tu vas ressortir ?
    Rosalie s’inquiétait, mais elle s’inquiétait sans cesse et Saint-Aubin lui répondit par un grognement. Il remplaça ses souliers à boucles par des bottes de marcheur.
    — Tu vas te faire arrêter...
    — Pas du tout. Je ressemble à tout le monde, dit Saint-Aubin en troquant son bicorne pour un chapeau noir à large bord.
    — N’y va pas...
    — Je dois voir Thérésia, je m’y suis engagé, et d’ailleurs c’est toi qui m’en as donné l’idée.
    — Une gaffe.
    — Quand je propose une solution à mes amis, je m’y tiens.
    Il rectifia sa cravate, prit sa canne plombée et embrassa Rosalie sur le front :
    — Cette nuit je t’abandonne à ton mari.
    — Non. Je t’attends.
    Il sortit en hâte, croisa sa nouvelle image dans la glace du premier palier, entendit des rires et de la musique au rez-de-chaussée, crut reconnaître la voix chantante de Barras et fila par la cour. Il partit à pied dans les ruelles du quartier. Pour éviter le Palais-Royal et ses abords qu’il soupçonnait surveillés, il coupa par la rue du Bouloi, toujours animée et livrée aux provinciaux à cause de ces hôtels meublés qu’expliquait la présence d’un bureau des diligences qui desservait Rouen, Orléans, Bordeaux. Depuis quelque temps des réverbères avaient remplacé ces vieilles lanternes qu’un souffle d’air éteignait, mais il fallait économiser l’huile de tripes qu’on fabriquait dans l’île des Cygnes, et les nuits de lune on n’allumait pas; c’était le cas. Ainsi protégé par ses vêtements neutres et par la nuit, Saint-Aubin marchait. Dans les rues les plus étroites il ne prenait garde qu’à ces cordes que les voleurs tendaient au ras des pavés pour que les bourgeois, une fois par terre, soient plus faciles à détrousser. Place du Carrousel, il vit de loin les rectangles lumineux des fenêtres du Comité de salut public, au bout de l’aile gauche des Tuileries : ces messieurs veillaient tard et décidaient peut-être de son sort. Il continua, rue des Orties, puis à droite le long des berges de la Seine, tourna à la hauteur du rond-point où commençait l’avenue Verte et se dirigea dans l’ombre vers la Chaumière, guidé par un air de harpe qui en sortait.
    Il y avait une fête tous les soirs.
    A l’entrée les valets le saluèrent comme un habitué de la maison, ils le débarrassèrent de son chapeau et de sa lourde canne, il entra dans le salon des concerts. En tunique très légère, Thérésia se laissait applaudir par ce demi-monde riche et mélangé dont elle aimait s’entourer et dont elle abusait. Elle leva la main pour établir le silence et, tournant sa paume vers les lustres, elle se mit à déclamer de sa voix chaude le monologue d’Hermione, au dernier acte d’ Andromaque , parce qu’elle avait tous les talents et que cette princesse demandait au roi Pyrrhus de se décider au mariage, comme Thérésia pressait Barras d’écarter sa créole :
    Où suis-je ? qu’ai-je fait ? que dois-je faire encore ?
    Quel transport me saisit ? quel chagrin me dévore ?
    Errante et sans dessein, je cours dans ce palais :
    Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ?
    Les plus proches et les mieux lettrés souriaient, ils connaissaient à la fois les tragédies de Racine et les comédies amoureuses de Madame Tallien. Les incultes, charmés par la seule beauté de l’actrice d’un soir, attendaient de la féliciter,

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