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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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un canapé rayé à la mode du jour; ils descendirent en hâte dans la grande salle où d’autres muscadins mettaient leurs chapeaux excentriques et époussetaient leurs habits devant les miroirs épargnés, avant de saisir à leur tour les armes posées sur les tables d’hôtes ou les banquettes. Nul besoin de commentaire. L'affaire était engagée. Ils sortirent en même temps sous les tonnelles de l’ancien hôtel de Noailles où Vénua tenait son café. Deux d’entre eux partirent en guetteurs dans l’impasse Saint-Roch, signalèrent qu’ils pouvaient entrer à l’intérieur de l’église par un portail latéral.
    Dans la cour, Dussault regarda par méfiance derrière lui; il vit une sorte d’ouvrier en veste courte qui dévalait un escalier :
    — Cette canaille est bien pressée!
    Saint-Aubin et quelques autres de la section LePeletier se retournèrent à cette exclamation. L'homme avait des épaules carrées, une moustache fournie et un pistolet au poing. Saint-Aubin reconnut le révolutionnaire de la terrasse des Feuillants qui avait le dangereux regard du serrurier Dupertois :
    — Attention ! le sanglier va charger !
    L'homme rentrait les épaules, il se repliait, le pistolet empoigné comme une matraque pour frapper de la crosse, mais quand il bondit il se transperça sur un bouquet de baïonnettes; les muscadins tenaient leurs fusils à deux mains comme des épieux. Eventré, saignant en abondance de dix blessures, le forcené hésitait à s’affaler, puis il s’écroula quand ses tueurs lâchèrent leurs armes. En tombant il enfonça encore les pointes de fer dans son ventre, sa poitrine et son cou. Les muscadins récupérèrent leurs fusils qu’ils essuyèrent sur le dos du cadavre tandis que Saint-Aubin ramassait son pistolet : c’était le jumeau du sien, même motif de nacre, même inscription gravée, alors il comprit, mais sans le dire, que le général Buonaparte avait lui-même armé le provocateur pour déclencher l’assaut. Le pistolet, cette preuve, Saint-Aubin le passa dans sa ceinture, puis il retourna le visage du jacobin de sa botte, le contempla un court instant, perplexe, avant de rejoindre ses compagnons en courant.
    L'église était haute, profonde et très obscure. Dans le déambulatoire on marchait sur des brisures de vitraux avec, pour se guider, la lumière du porche grand ouvert sur une rue Saint-Honoré envahie par des nappes de fumée. Il y eut une accalmie. Saint-Aubin retrouva Dussault derrière le fortin en planches construit en haut des marches, où les émeutiers rechargeaient leurs armes à l’abri des balles.
    — Plus un coup de feu, très cher, aurions-nous mis en débandade ces républicains de l’Enfer?
    — Ils ont reçu une raclée, répondit un garçon en collet noir et aux cadenettes tombantes, mais ils vont en subir une autre, et sévère. A la prochaine attaque nous les culbutons, nous forçons le passage, nous enfonçons les grilles, et allez ! aux Tuileries !
    — Vous voyez ce que je vois? demandait Dussault.
    Saint-Aubin quitta comme lui leur cachette en bois. La fumée se dissipait. A l’entrée de l’impasse du Dauphin il y avait trois canons pointés sur l’église, et, derrière, la silhouette filiforme du général Buonaparte plantée sur son cheval blanc.
    Les canons de Barras sitôt arrivés, des volontaires de 89 les avaient poussés jusqu’à la rue Saint-Honoré. Coincés depuis une heure à côté de leur unique pièce de huit, ces hommes avaient eu du mal à ajuster leurs tirs sous les balles des muscadins qui ricochaient contre les immeubles, sous le plâtre des murs éraflés, les tuiles et les volets arrachés qui leur tombaient dessus. Trois canonniers avaient été tués sur leur affût; le tambour ne battait plus pour donner du courage, il avait reçu une balle en pleine tête. Lèvres serrées, pâle comme un suaire, Buonaparte lève son sabre et l’abaisse en criant :
    — Feu !
    Le premier canon balaie de mitraille les marches de l’église et fauche les rebelles les plus avancés. Les survivants n’ont pas le temps de se ressaisir.
    — Feu !
    Le deuxième canon fait voler en éclats la cabane où quelques moments auparavant s’étaient abrités Saint-Aubin et Dussault.
    — Feu !
    Le troisième canon fracasse le portail de droite et grêle les demi-colonnes de la façade. Buonaparte distingue dans un nuage de fumée les ombres des muscadins qui tourbillonnent et s’écroulent, ou d’autres qui s’affolent en

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