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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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prenant leurs blessés sous les bras, dérapent dans le sang.
    — Feu !
    Dans l’intervalle bref des tirs, le temps de recharger et de pointer les ruelles où des embusqués persistent à tirailler, le général entend tonner les canons postés sur les quais et les obusiers de Brune battre la rue Saint-Nicaise. Il appelle Berruyer dont le cheval a été abattu sous lui; le vieil officier arrive en boitillant :
    — Fais investir les immeubles qui nous entourent avec la moitié des hommes, que les autres s’apprêtent à charger à l’arme blanche pour nettoyer cette église.
    Protégés par un épais brouillard de poudre, des pelotons longent les murs des maisons et y pénètrent en brisant les portes. Berruyer regroupe ses volontaires jacobins. Malgré sa jambe douloureuse il veut les emmener en personne à l’assaut de Saint-Roch. Ils se précipitent comme à l’abordage en poussant des cris de fauves, trébuchent sur des corps déchiquetés, grimpent les marches, écrasent de leurs croquenots des chapeaux biscornus, des escarpins pointus, des lunettes, des mouchoirs; certains ramassent en fagots les fusils de chasse et de collection abandonnés, une montre en or piétinée à cinq heures moins le quart.
    — Feu !
    Pour effrayer, la mitraille gicle sur les pavés de la rue Saint-Honoré jusqu’aux premiers étages des maisons. Quand cesse le vacarme on ne perçoit plus que des cris de douleur ou d’effroi; des blessés rampent, un muscadin bascule d’un toit, un autre est précipité d’une fenêtre en lâchant son fusil déchargé. Les jacobins de Berruyer ressortent sur le perron de Saint-Roch avec peu de prisonniers, dont un garçon secoué d’une crise nerveuse, surtout des estropiés qui n’ont pas eu les moyens de s’échapper par les portes entrebâillées de la sacristie.
    Barras s’est exposé aux avant-postes et il a soutenu partout ses généraux avec énergie. Le voici, entouré de cavaliers, devant l’impasse du Dauphin où attend un Buonaparte immobile.
    — Quelques centaines de morts, lui dit Barras, nous avons évité le pire.
    — Leurs chefs ?
    — En fuite, sauf Lafond : il a une cuisse transpercée.
    — Il doit rester des excités, insiste Buonaparte.
    — Eparpillés, les étourneaux.
    — Montrons notre force aux Parisiens.
    — Ce n’est pas ce que tu as fait avec tes canons ?
    — Les canons, il faut les promener dans les rues toute la nuit.
    — Pas de provocations inutiles...
    — Une présence forte et lourde suffira.
    — Agis comme tu l’entends, dit Barras, mais Paris est à nous : Duvigneau remonte les boulevards avec son détachement, Brune occupe le Palais-Royal, Carteaux a mis en déroute les émeutiers de la rive droite, nos soldats ratissent l’île Saint-Louis, le Théâtre-Français, le Panthéon...
    Le soir est tombé. Avec les mèches encore allumées des servants de batterie, les volontaires de Berruyer enflamment des torches; ils précèdent Buonaparte et Barras qui remontent côte à côte, au pas, en cortège vers la rue Vivienne. Ils ne rencontrent que des soldats. Barras interroge son protégé :
    — Tu as vu d’où venait le premier coup de feu ?
    — Comme au théâtre. C'était en face de moi. A peine tes deux canons nous étaient livrés qu’un muscadin, ou un agent de Londres, va savoir, nous a visés au petit bonheur mais sans toucher personne, alors nous avons répliqué.
    — Selon les ordres.
    — Selon tes ordres.
    — On m’a rapporté que le tireur était à une fenêtre du café Vénua.
    — Non. Il était au troisième étage de l’immeuble voisin. J’ai vu l’éclair.
    — Pourquoi cet idiot a-t-il déclenché la foudre ?
    — Il en avait peut-être assez d’attendre, comme nous, d’ailleurs, mais avec moins de discipline.
    — J’aimerais connaître son nom.
    — Le saurons-nous un jour ?
    — Dommage. Il nous a servis en croyant servir sa cause.
    Buonaparte ne répond pas. En haut de la rue Vivienne, après la barricade de la veille qui a été démantelée, explosée aux boulets, ils découvrent le portail béant du couvent des Filles-Saint-Thomas. Les jacobins y entrent avec leurs torches et leurs fusils, en alerte, mais non, rien, sinon trois chevaux qui mangent dans le noir les herbes folles du jardin, et un lampion qui se balance devant la chapelle où s’étaient tenues tant de réunions exaltées.
    Sur la place du Carrousel, des charrettes se succédaient pour déposer leurs chargements de blessés. Grenadiers et

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