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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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qui sert de commandant :
    — La Convention vous attend.
    — Nous aussi on attend, dit le charpentier.
    — Quoi ?
    — Nos frères de la section Popincourt.
    — Dis-moi si d’autres sont prêtes à sauver la République.
    — Ceux des Quinze-Vingts ne demandent qu’à marcher avec toi.
    — Combien sont-ils ?
    — Deux cents.
    Le représentant se porte aux Quinze-Vingts, près de la Bastille, y rencontre enfin des hommes décidés qu’il ramène au tambour, avec un piquet de dragons devant, un autre derrière, parce qu’un quart d’entre eux seulement sont armés. Il retrouve au retour le bataillon de Montreuil qui attend toujours ses frères et refuse de bouger sans un ordre écrit de Barras, ce qui met Delormel en fureur. Tant pis. On rentre aux Tuileries. Il n’y a personne au Pont-au-Change mais ce ne sont plus les cavaliers et les canons de Carteaux qui occupent le Pont-Neuf : des pompons rouges et verts, des centaines de baïonnettes indiquent l’avancée des sectionnaires royalistes de la rive droite. Delormel n’a pas le choix, il va donner l’ordre de marcher quand un émissaire court à sa rencontre :
    — Monsieur le député, mon général veut vous voir.
    Toujours pour éviter l’affrontement brutal, Delormel accepte, suit l’émissaire jusqu’au milieu du Pont-Neuf pour rencontrer Lafond, cet ancien garde de Louis XVI en perruque poudrée, habits de voyage, cravache en main.
    — Je suppose, dit celui-ci, que j’entrave votre route.
    — Je vais aux Tuileries.
    — Mais nous aussi, figurez-vous.
    — Le temps n’est pas à la plaisanterie.
    — Sans doute, mais à la courtoisie. Vous laisser passer? Pourquoi pas? Je vous le dois puisque vos amis m’ont abandonné ce pont sans coup férir.
    Une heure plus tôt, avec son faible contingent, Carteaux avait été débordé. Les insurgés étaient venus à lui avec des bouquets de fleurs. Il avait dû se retirer mais en bon ordre pour épargner le sang. Delormel demande à Lafond :
    — Que prétendez-vous faire, général ?
    — Moi ? dit l’autre en riant, je combats pour la République.
    — Vous vous y prenez d’une drôle de manière.
    — Drôle ? Ce sont les manières de vos Comités que nous ne trouvons pas drôles, mais vous avez du courage, Monsieur le député. Vos collègues n’iraient pas s’aventurer dans Paris si loin de leur nid. Passez donc, nous nous verrons plus tard.
    — Où ça ?
    — Aux Tuileries, quand nous attaquerons.
    — Le château est bien défendu.
    — Tsst ! vous serez battus, vos amis régicides et vous. Au revoir, Monsieur.
    Puis Lafond de Soulé, toujours souriant, raccompagne Delormel et sa troupe hétéroclite jusqu’aux colonnades du Louvre. Là, il s’arrête, sort une tabatière marquée d’une fleur de lys, fourre dans son long nez une pincée de tabac, éternue, tire de sa manche un mouchoir en dentelles qu’il agite bien haut pour dire adieu à ces républicains qu’il tuera tout à l’heure, si Dieu le veut et pour le roi. Les insurgés arrivent maintenant de toutes parts et enveloppent le quartier des Tuileries. Voilà ce que raconte Delormel à Barras avant de regagner la longue salle des séances; des orateurs fébriles se succèdent à la tribune dans le vacarme, ils parlent de capituler, ils parlent de résister, ils s’engueulent, les discours se ramassent en formules grossières. Delormel lève les yeux vers le fond de la salle, tout en haut, mais Rosalie et ses compagnes du matin ont disparu. Il secoue l’un des huissiers qui somnole malgré le bruit, en bas de la tribune, sur un tabouret carré à capitons :
    — Nos familles ?
    — En sécurité, citoyen représentant. Les dames s’occupent de l’infirmerie. Je sais que ça, moi.
    Au rez-de-chaussée du château, la salle de la Liberté et celle des Victoires tapissée de drapeaux gagnés à la guerre ont été aménagées en hôpital d’urgence. Les députés chirurgiens ou médecins ont quitté les gradins pour organiser les secours avant l’affrontement. Ils disposent des bancs en guise de lits, jettent des matelas sur les parquets, entassent des flacons de vinaigre qui serviront à désinfecter les plaies, des bouteilles d’eau-de-vie pour que les plus atteints supportent l’amputation. Sous la statue en plâtre qui figure une déesse païenne montent en piles les linges récupérés aux étages, dans les chambres des employés de la Convention. Les femmes, les filles, les fils des représentants réfugiés auprès

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