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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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pratiques. Par elle, il croyait entrer dans une famille française de bonne noblesse et fortunée. La noblesse de Joséphine était moindre que celle de Buonaparte. Son beau-père Beauharnais, le père d’Alexandre, son premier mari, gouverneur des îles du Vent, avait pris le titre de marquis sans y avoir droit. Il se nommait Monsieur Beauvit, – il changea ce patronyme qui faisait rire les Martiniquais. Quant à La Pagerie, il s’agissait d’une terre que la grande-tante de Joséphine avait revendue depuis belle lurette. Il en était de même pour sa fortune. Joséphine n’avait que six jupons, des chemises usées, quelques meubles...
    — Paul-François, dit-elle au vicomte, ne lui dis pas que ma fortune est imaginaire.
    — Je ne veux pas tout faire manquer.
    Barras ne voulait surtout pas faire manquer ce mariage qui le libérait, mais il sentait Joséphine rétive et cherchait à en connaître les raisons pour mieux les combattre; il n’y avait pas que la supercherie sur sa fortune et sa prétendue noblesse :
    — Tes enfants ne s’entendent pas avec le général ?
    — Hortense le trouve sarcastique et grossier mais il a réussi à amadouer Eugène, bien sûr, à cause de son uniforme...
    — Tes amis ?
    — Oh, ils me conseillent tous de me remarier, ma tante me l’ordonne presque.
    — Et tu résistes ?
    — Le regard de Buonaparte me dérange. Parfois il est violent. Notre aventure ne peut pas durer.
    — Qui te parle de durer? De nos jours le mariage n’est qu’une formalité, un vernis, une convenance, une pratique, et puis on peut divorcer.
    — Je ne l’aime pas, Paul-François !
    Elle se mit à pleurnicher, reposa sa tête contre l’épaule de Barras, murmura entre deux sanglots très étudiés :
    — C'est toi que j’aime mais tu ne m’aimes pas.
    — Ma parole! tu me chantes le grand air de la vertu ?
    — Paul-François, je n’arriverai pas à me consoler.
    — Tu t’es consolée de Hoche dans le lit de son aide de camp, et de son aide de camp dans celui de son palefrenier. Tu es une fière enjôleuse.
    — Ton général ne pourra jamais satisfaire comme toi mes besoins...
    — D’argent?
    — Entre autres choses...
    — Avare ?
    — Il m’offre de la soie, des diamants, mais...
    — Mais je me chargerai de ta dot.
    Les larmes redoublèrent. Barras en avait soupé. Des soucis plus dangereux le rendaient sombre : les extrémistes des deux bords menaçaient le Directoire, royalistes arrogants, révolutionnaires que Fouché maîtrisait mal. Il sonna. Un valet apparut. Devant ce témoin Joséphine arrêta de larmoyer, elle se prétendit indisposée et se laissa reconduire rue Chantereine. Buonaparte l’attendait sous la véranda.
    Carnot était furieux. Il balança une lettre décachetée sur les genoux de Barras, qui conférait avec Delormel dans un salon du Luxembourg :
    — Schérer démissionne !
    — Tant mieux, dit Barras. Il ne tient aucun compte de nos avis, il préfère boire et jouer de l’argent à la toupie.
    — Au lieu d’agir il se plaint, dit Delormel.
    Entre les Alpes et la Méditerranée, le général Schérer se plaignait en effet du manque de moyens. Les soldats de l’armée d’Italie désertaient ou chapardaient des poulets dans les fermes pour subsister, inactifs, malades, pauvres. Schérer avait écrit à Delormel : « Les administrateurs volent impudemment la République ! » Pourquoi n’avait-il pas poursuivi le général piémontais Colli, et achevé ainsi les Austro-Sardes que Masséna avait défaits à Loano? Le manque d’argent, de vivres, de vêtements, d’armes. Schérer réclamait six millions. « Nous n’avons que trois mille francs en caisse ! » avait répondu Delormel. Schérer avait alors pris ses quartiers d’hiver à Nice, et Kellermann, qui commandait maintenant l’armée des Alpes, l’avait imité. Ils n’avaient pas reçu un sou et boudaient. Lazare Carnot se grattait la tête :
    — Il faut remplacer Schérer, mais par qui ?
    — Buonaparte, proposa Barras.
    — C'est à cause de lui, cette démission ! Ses plans d’offensive, Schérer en a été ulcéré, il les trouvait chimériques, l’œuvre d’un forcené.
    — Et toi ?
    — Ton général me serine dans les oreilles que Schérer est une vieille culotte de peau qui ne tient plus sur un cheval, que c’est un imbécile et un traître, que Kellermann est une nullité!
    — Nommons-le. Nous verrons s’il réussit à appliquer ses foudroyantes théories.
    — Ton Buonaparte se

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