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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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entre deux éclats, et elle se renversa, hilare, sur le dossier de son siège.
    — Et toi ?
    — Moi ? dit Saint-Aubin qui s’efforçait de garder un semblant de sérieux.
    — Tu ne trouves pas cette mise assez noble ?
    — Noble n’est peut-être pas le mot exact...
    — Quel est-il, alors, ce mot exact?
    — Eh bien, euh, je dirais plutôt que le costume est théâtral.
    — Fort bien, c’est le but. Je vais en effet jouer un rôle. Oui, théâtral, je suis en représentation, je représente le gouvernement, quand j’apparais aux citoyens je monte sur scène.
    — Et le parterre siffle, dit Rosalie qui retrouvait son souffle et s’essuyait les yeux du dos de la main.
    — Un peu de respect, sinon pour moi, du moins pour mon rang! J’accepte théâtral comme Talma dans Britannicus , et cet habit souligne mon pouvoir.
    — La meilleure preuve de votre pouvoir, dit Saint-Aubin, ce serait de m’éviter la conscription.
    — Tu as reçu des papiers de l’armée ?
    — Pas encore mais je m’y attends.
    — Ce n’est pas dans mes attributs.
    — Eloignez-moi dans l’une de vos maisons.
    — Cela se saurait.
    — Il me semble mince, votre pouvoir.
    — J’en parlerai à Barras.
    Là-dessus, sourcils froncés sous le chapeau dont les plumes géantes voletaient à chaque pas, il sortit d’un air martial et se précipita dans sa calèche qui attendait devant le perron.
    — Au palais, dit-il à son cocher.
    Chacun à leur tour les Directeurs recevaient le matin en audience publique sous les lambris redorés, en haut de la rue de Tournon, quiconque avait un problème à soumettre. Dans sa voiture, Delormel se renfrognait. Rosalie n’était pas la seule à se moquer. Les Directeurs incitaient à la plaisanterie. Déjà. On les affublait de sobriquets moqueurs, les Cinq-Sires pour Saint-Cyr, les mulets empanachés , ou bien, sur des graffitis relevés près du Luxembourg contre les guérites des sentinelles : Manufacture de Sires à frotter . Des pamphlets couraient Paris. Les chalands s’arrêtaient devant des affiches injurieuses, s’en amusaient, applaudissaient, et les factions des deux extrêmes se reconstituaient contre ce gouvernement impuissant. Delormel y avait sa part; le nombre des problèmes à résoudre le dépassait, et ils étaient de toutes dimensions, des plus mesquins aux plus graves. Comment imposer la taxe sur la viande, si impopulaire chez les bouchers et dans le peuple? Comment empêcher les parfumeurs de spéculer sur les pommes de terre dont ils faisaient de la poudre ? Comment redonner de la valeur à la monnaie républicaine? Fallait-il vendre les biens nationaux, brader le patrimoine pour un gain à court terme? Voulant gagner du temps, Delormel avait établi une commission des finances sur les assignats, mais il n’en sortirait aucune idée efficace. Le seul problème se résumait en une phrase : où trouver de l’argent ?
    Au Luxembourg, derrière sa table, il attendait le public, admis pour une heure, que des huissiers en pèlerines noires et plumes rouges canalisaient derrière une balustrade. Les gens lui apportaient un mémoire, des plaintes, des avis ; il les recevait avec des mots de réconfort ou un intérêt factice. Chacun était convaincu, eux comme lui, que ce genre de pétition n’avait aucune chance d’aboutir; surtout, les Parisiens venaient regarder de plus près ces nouveaux maîtres qu’ils méprisaient. En faisant semblant de les écouter, Delormel pensait : comment trouver de l’argent ? Pour lui, il avait su et le savait encore, mais pour la France ? Comment trouver de l’argent ?
    Comment trouver de l’argent ? se demandait Barras qui devait dénicher en urgence six cents millions de francs. Il voulait durer et c’en était le prix. Comment renflouer le Trésor? Il se creusait la tête. L'emprunt forcé, lancé en catastrophe comme un remède, se révélait minable et dangereux; en taxant les plus riches on désorganisait le commerce, des ateliers et des fabriques fermaient faute de clientèle, et les prix grimpaient toujours. Le vicomte ne croyait pas aux miracles et n’avait aucune solution à proposer. Il en était là de ses réflexions désabusées quand on cogna à la petite porte encastrée dans les boiseries, à droite de la cheminée. Ses espions passaient par cet escalier secret qui leur évitait de rencontrer des soldats ou des huissiers trop curieux. C'est ainsi que souvent Buonaparte venait lui rendre compte de l’état de Paris, à

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