LE CHÂTEAU DANGEREUX
la postérité, et le poète peut, il doit même chercher à égaler les vertus qu’il loue. Le désordre de l’époque a diminué l’importance et altéré la moralité de ces vagabonds errans ; leur satire et leur louange ne sont aujourd’hui trop souvent distribuées d’après d’autre principe que l’amour du gain ; espérons cependant qu’il en est encore quelques uns qui connaissent et qui remplissent en conscience leur devoir. Mon opinion est que ce Bertram n’a point partagé la dégradation de ses confrères, n’a point fléchi le genou devant l’iniquité des temps ; il vous reste à juger, sir de Walton, si la présence d’un tel homme, honorablement et honnêtement disposé, peut occasioner le moindre péril au château de Douglas. Mais croyant, d’après les sentimens qu’il a manifestés devant moi, qu’il est incapable de jouer le rôle de traître, je dois m’opposer de toutes mes forces à ce qu’il soit puni comme tel, ou soumis à la torture dans l’enceinte d’une forteresse qu’occupe une garnison anglaise. J’en rougirais pour mon pays si, pour le bien servir, il nous fallait infliger des châtimens si rigoureux à de pauvres gens dont la seule faute est l’indigence ; et vos propres sentimens de chevalier vous en diront à ce sujet plus qu’il ne convient que j’en dise à sir John de Walton pour ce qui est nécessaire à justifier l’opinion que je garde. »
Sir John de Walton, rougit jusque sur son front brun lorsqu’il entendit le jeune homme émettre, contradictoirement à la sienne, une opinion qui avait pour but de flétrir sa manière de voir comme peu généreuse et peu noble, comme indigne d’un chevalier. Il tâcha cependant de conserver son sang-froid, et répondit avec assez de calme : « Vous avez donné votre opinion ; sir Aymer de Valence ; et je vous remercie de l’avoir donnée franchement et hardiment sans vous inquiéter de la mienne. Mais il n’est pas tout-à-fait prouvé qu’il faille que je m’en réfère absolument à vos avis, dans le cas où le devoir que m’impose ma place, les ordres du roi, et les observations que je puis personnellement avoir faites m’engageront à tenir une ligne de conduite autre que celle qu’il vous semble convenable d’adopter. »
De Walton s’inclina, en terminant, avec une grande gravité ; et le jeune chevalier, lui rendant son salut exactement avec la même cérémonie, raide et affectée, demanda si son supérieur avait des ordres particuliers à lui donner relativement à ses fonctions dans le château ; et, après avoir reçu une réponse négative, il se retira.
Sir John de Walton, après une exclamation d’impatience, comme s’il était vraiment désappointé en voyant que les avances qu’il avait faites vers une explication avec son jeune ami avaient échoué d’une manière tout-à-fait inattendue, fronça les sourcils, comme plongé dans de profondes réflexions, et se promena quelque temps de long en large dans l’appartement, considérant quelle marche il devait suivre dans de pareilles circonstances. « Il est dur de le réprimander sévèrement, dit-il, quand je me rappelle que, à en juger par nos premières relations, mes pensées et mes sentimens auraient dû toujours être les mêmes que ceux de ce garçon vif ; entêté, mais généreux. Maintenant la prudence m’instruit à soupçonner les hommes dans mille cas où peut-être il n’y a point de fondement pour le moindre soupçon. Si je suis disposé à risquer et mon honneur et ma fortune plutôt que de causer une légère peine à un ménestrel vagabond, peine que d’ailleurs je puis compenser avec quelque argent, encore ai-je le droit de courir le risque d’une conspiration contre le roi, et de rendre ainsi plus facile la prise par trahison du château de Douglas, pour laquelle sont formés tant de projets à ma connaissance, pour laquelle même aucun projet, si désespéré qu’il soit, ne peut être imaginé sans qu’il se trouve des gens assez hardis pour se charger de l’exécution. Un homme qui est placé dans ma situation, quoique esclave de sa conscience, doit apprendre à mettre de côté tous ces faux scrupules, qui ont l’air de découler d’une sensibilité honorable, tandis qu’en fait ils sont le résultat des suggestions d’une délicatesse affectée. Je ne me laisserai pas, j’en jure par le ciel, égarer par les sornettes d’un bambin tel qu’Aymer ; je ne m’exposerai pas, pour
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