LE CHÂTEAU DANGEREUX
d’amusement ; et où en trouverait-il les moyens, si ce n’était pas dans une bibliothèque remplie d’anciens livres ? »
« Sans doute, répliqua l’archer avec un ricanement d’incrédulité sec mais honnête ; il est survenu peu d’insurrections, que je sache, en Écosse, sans qu’elles aient été prédites par quelque vieille poésie oubliée, qu’on savait soustraire à la poussière et aux toiles d’araignée, dans le but unique de donner du courage à ces rebelles du Nord, qui autrement n’auraient pas même osé s’exposer à entendre le sifflement des flèches bardées de plumes d’oie sauvage ; mais les têtes à cheveux bouclés sont légères ; et, soit dit sans vous offenser, les gens même de votre suite, sir chevalier, conservent trop du feu de la jeunesse dans un temps aussi peu sûr que celui où nous sommes. »
– « Tu m’as convaincu, Feuille-Verte, et je m’enquerrai plus rigoureusement que je ne l’ai fait jusqu’à présent des affaires et des occupations de cet homme. L’époque est mal choisie pour compromettre la sûreté d’un château royal, afin de se montrer généreux envers un individu que nous connaissons si peu et contre qui nous pouvons sans injustice concevoir de graves soupçons, jusqu’à ce que nous recevions des éclaircissemens complets. Est-il en ce moment dans la pièce qu’on nomme la bibliothèque du baron ? »
– « Votre seigneurie ne peut manquer de l’y rencontrer. »
– « Suis-moi donc avec deux ou trois de tes camarades ; place-toi de manière à n’être pas vu, mais à pouvoir m’entendre, en cas qu’il soit nécessaire d’arrêter cet homme. »
« Mon assistance sera toujours à vos ordres, quand vous me la demanderez, mais… »
– « Mais quoi ? J’espère que je ne trouverai pas des hésitations et de la désobéissance chez tout le monde. »
– « Pas chez moi, assurément. Je voudrais seulement rappeler à votre seigneurie que ce que j’ai dit était une opinion sincère, énoncée en réponse à la question de votre seigneurie, et que, comme sir Aymer de Valence s’est déclaré le patron de cet homme, je ne désirerais pas encourir les chances de sa rancune. »
– « Pstt ! est-ce Aymer de Valence qui est gouverneur de ce château, ou bien moi ? et encore, envers qui imaginez-vous que vous puissiez être responsable de vos réponses aux questions que je vous adresse ? »
« Allons, répliqua l’archer, qui secrètement n’était pas fâché de voir sir John se montrer un peu jaloux de son autorité, croyez bien, sir chevalier, que je connais et ma propre position et celle de votre seigneurie, et que je n’ai pas besoin qu’on me dise à qui je dois obéissance. »
« À la bibliothèque donc, et puissions-nous y trouver cet homme ! »
« Voyez donc comme c’est beau ! marmotta Feuille-Verte en le suivant, votre seigneurie aller en personne procéder à l’arrestation d’un individu si peu distingué ! Mais votre honneur a raison : ces ménestrels sont souvent magiciens, et ont la puissance de s’échapper par des moyens que les ignorans comme moi sont disposés à attribuer à la nécromancie. »
Sans faire attention à ces derniers mots, sir John de Walton se dirigea vers la bibliothèque, marchant d’un pas rapide, comme si cet entretien eût augmenté son désir de se trouver en possession de la personne du ménestrel suspect.
Traversant les antiques corridors du château, le gouverneur n’eut pas de peine à parvenir jusqu’à la bibliothèque, qui était solidement construite en pierre, voûtée, et munie d’une espèce de cabinet en fer, destiné à la conservation des objets et des papiers précieux en cas d’incendie. Il y trouva le ménestrel assis devant une petite table sur laquelle était un manuscrit qui paraissait d’une grande ancienneté, et dont il avait l’air de faire des extraits. Les fenêtres de la chambre étaient fort petites, et l’on voyait encore qu’elles avaient été jadis vitrées avec des verres de couleur représentant l’histoire de sainte Bride, autre marque de la dévotion de la grande famille des Douglas à leur sainte tutélaire.
Le ménestrel, qui paraissait être profondément occupé de sa besogne lorsqu’il fut troublé par l’arrivée inattendue de sir John de Walton, se leva avec tous les signes du respect et de l’humilité ; et, restant debout en présence du gouverneur, sembla attendre ses
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