LE CHÂTEAU DANGEREUX
vous savez, il vit au milieu de ses pratiques… Holà ! hé ! Powheid ! Lazare Powheid ! voici un gentilhomme qui veut vous parler ; et, ajouta-t-elle avec une sorte d’emphase, un noble gentilhomme anglais, un des honorables de la garnison ! »
On entendit alors le pas d’un vieillard qui avançait, mais si lentement, que la lumière vacillante qu’il tenait à la main brilla sur les murs en ruines de la voûte quelque temps avant de montrer la personne qui la portait.
L’ombre du vieillard se projeta aussi sur la muraille éclairée avant qu’on pût l’apercevoir lui-même. Ses vêtemens étaient fort en désordre, attendu qu’il avait précipitamment quitté son lit ; car depuis que la lumière artificielle leur était défendue par les réglemens de la garnison, les habitans de la vallée de Douglas passaient à dormir le temps qu’il leur était impossible d’utiliser d’aucune autre manière. Le fossoyeur était un grand homme sec, amaigri par les ans et par les privations ; son corps était courbé par suite de son occupation habituelle de creuser des fosses, et son œil s’abaissait naturellement, vers le lieu de ses travaux. Sa main soutenait un flambeau, ou plutôt une petite lampe, qu’il tourna de manière à éclairer le visage de l’étranger qui lui rendait visite ; en même temps il fit voir au jeune chevalier les traits de l’homme en face duquel il se trouvait, et qui, quoique ni beaux ni agréables, étaient imposans, subtils et vénérables, portant un certain air de dignité, que l’âge, même la simple pauvreté peuvent donner parfois, attendu qu’il en résulte cette dernière et mélancolique espèce d’indépendance propre aux gens dont la situation peut à peine, par aucun moyen imaginable, être rendue pire que ne l’ont déja faite les années et la fortune. L’habit de frère-lai ajoutait à son extérieur une sorte de caractère religieux.
« Que me voulez-vous, jeune homme ? dit le fossoyeur. Votre air de jeunesse et vos gais vêtemens indiquent une personne qui n’a besoin de mon ministère ni pour elle-même ni pour d’autres. »
« Je suis, il est vrai, répliqua le chevalier, un homme vivant, et en conséquence je n’ai pas besoin que la pioche où la pelle travaille pour moi ; je ne suis pas, comme vous voyez, vêtu de deuil, et en conséquence je ne puis venir réclamer votre office pour un ami ; mais je voudrais vous adresser quelques questions. »
« Il faut nécessairement vouloir ce que voulez, puisque vous êtes à présent un de nos maîtres, et, comme je pense, un homme d’autorité, répliqua le fossoyeur. Suivez-moi par ici dans ma pauvre habitation. J’en ai eu une meilleure dans mon temps : néanmoins, le ciel le sait, celle-ci est assez bonne pour moi, lorsque bien des gens de plus grande importance sont forcés d’être contens d’en avoir même qui sont pires. »
Il ouvrit une porte basse qui était attachée dans le mur, quoique grossièrement, de manière à fermer l’entrée d’un appartement voûté, où il paraissait que le vieillard avait, loin du monde des vivans, établi sa misérable et solitaire demeure. Le plancher, composé de larges dalles, réunies ensemble avec un certain soin, et çà et là couvertes de lettres et d’hiéroglyphes comme si elles avaient jadis servi pour un temps à distinguer des sépulcres, était assez bien balayé, et un feu qui brûlait à l’autre extrémité de la chambre dirigeait la fumée par un trou qui servait de cheminée. La pioche et la pelle, ainsi que d’autres instrumens dont fait usage le chambellan de la mortalité, gisaient épars dans l’appartement, et, avec deux ou trois escabelles grossières et une table pour lesquelles quelque main inexpérimentée s’était probablement acquittée du travail d’un menuisier, formaient presque tout l’ameublement, si nous y comprenons le lit de paille du vieillard, placé dans un coin, et tout en désordre comme si l’on venait de le quitter. Vers l’extrémité de la chambre qui faisait face à la porte, la muraille était presque entièrement recouverte par un large écusson, semblable à ceux qu’on suspend d’ordinaire sur les tombes des personnages de haut rang, présentant les quartiers d’usage au nombre de soixante chacun, convenablement blasonnés et différant des autres, placés comme ornemens autour du champ principal des armoiries.
« Asseyons-nous, dit le vieillard ; cette posture permettra
Weitere Kostenlose Bücher