LE CHÂTEAU DANGEREUX
et qu’il peut en certains cas être de mon devoir d’infliger la mort avec des tortures qui font horreur à l’humanité ? »
Le vieillard se leva lentement à la lueur du feu qui flambait de manière à laisser voir ses traits maigris, semblables à ceux que les peintres donnent à saint Antoine du désert ; et montrant du doigt la faible lampe qu’il avait posée sur la table grossière, il s’adressa ainsi à l’homme qui l’interrogeait, avec une apparence de calme absolu, et même avec une sorte de dignité.
« Jeune chevalier d’Angleterre, vous voyez cet ustensile destiné à répandre la lumière sous ces sombres voûtes… il est aussi fragile que peut l’être toute lampe dont la flamme est produite par l’élément ordinaire et renfermée dans un corps de fer. Il est sans doute en votre puissance de faire qu’elle ne puisse plus servir en la brisant et en l’éteignant. Menacez-la d’une telle destruction, sire chevalier, et voyez si vos menaces inspireront la moindre peur à l’élément ou au fer. Sachez que vous ne pouvez rien de plus contre le faible mortel que vous menacez d’une destruction semblable. Il vous est loisible de dépouiller mon corps de la peau dont il est maintenant recouvert ; mais quoique mes nerfs puissent se contracter par la force de la douleur pendant cette opération inhumaine, elle ne produira point sur moi plus d’effet que celle du dépècement sur un cerf qu’une flèche a auparavant percé au cœur. Mon âge me met à l’abri de votre cruauté : si vous ne m’en croyez pas, appelez vos agens et commencez vos opérations : ni menaces ni supplices ne parviendront à m’arracher des choses que je ne veux pas vous dire de ma propre volonté. »
« C’est vous jouer de moi, vieillard, répliqua de Valence. À vous entendre, il semblerait que vous soyez instruit des mouvemens de ces Douglas, et cependant vous refusez de me mettre dans votre secret. »
« Vous allez bientôt savoir, reprit le vieillard, tout ce qu’un pauvre fossoyeur peut vous apprendre ; et ces communications ne vous apprendront rien de nouveau sur les vivans, quoiqu’elles puissent jeter de la lumière sur ses propres domaines qui sont ceux des morts. Les esprits des Douglas décédés ne reposent pas en paix dans leurs tombes pendant qu’on déshonore leurs monumens et que leur antique maison s’écroule. Croire qu’à la mort la plus grande partie des membres d’une famille passent dans les régions de la félicité éternelle ou de la misère qui ne doit pas finir, la religion ne nous le permet pas ; et dans une race que distinguèrent tant les triomphes et les prospérités de la terre, nous devons supposer qu’il se trouva beaucoup d’hommes qui ont été justement condamnés à un temps intermédiaire de punition. Vous avez détruit les temples qu’avaient bâtis leurs descendans pour rendre, le ciel favorable au salut de leurs ames ; vous avez réduit au silence les prières et troublé les cœurs par la médiation desquels le piété des enfans tâchait d’apaiser la colère céleste qui poursuivait leurs ancêtres soumis aux feux expiatoires. Pouvez-vous donc vous étonner que des esprits tourmentés, ainsi privés des secours qui leur étaient destinés, ne puissent plus, comme l’on dit, reposer dans leurs tombes ? Pouvez-vous donc vous étonner qu’ils se montrent et viennent errer mécontens autour des lieux qui, sans la manière dont vous avez poursuivi l’exécution de vos cruels desseins, leur auraient depuis long-temps permis de goûter le repos ? Êtes-vous même surpris que ces guerriers sans chair interrompent vos marches, et tâchent de faire tout ce dont leur nature aérienne leur laisse le pouvoir pour troubler vos conseils, et s’opposer autant qu’ils le peuvent aux hostilités qu’il semble que vous soyez glorieux de continuer aussi bien contre ceux qui sont morts que contre ceux qui peuvent encore survivre à votre cruauté ? »
« Vieillard, répliqua Aymer de Valence, tu ne peux croire que je recevrai pour réponse une histoire comme celle-ci : fiction trop grossière pour avoir la vertu d’endormir un écolier qui souffre un horrible mal de dents. Cependant, et j’en remercie le ciel, il ne m’appartient pas de prononcer sur ton sort : mon écuyer et deux hommes d’armes vont t’emmener captif vers le digne sir John de Walton, gouverneur du château et de la vallée, afin qu’il se comporte à ton égard comme bon
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