LE CHÂTEAU DANGEREUX
épais et bruns, repose le premier homme que je puis nommer comme célèbre parmi tous ceux de cette illustre race. C’est lui que le Thane d’Athol désignait au roi d’Écosse sous le nom de Sholto Dhuglass, ou homme noir couleur de fer, dont les efforts avaient gagné la bataille pour le prince de son pays, et qui, suivant cette légende, donna son nom à notre vallée et à notre ville, quoique d’autres disent que cette famille emprunta le nom de Douglas de la rivière ainsi appelée depuis un temps immémorial, avant qu’ils se fussent établis sur ses bords. Ses descendans, Gachain ou Hector I er , Orodh ou Hugues, William, premier de ce nom, et Gilmaour, qui servit de sujet à plus d’un chant de ménestrel, rappelant les exploits qu’il accomplit sous l’oriflamme de Charles-le-Grand, empereur de France : tous sont venus ici s’endormir de leur dernier sommeil, et leur mémoire n’a pas suffisamment échappé aux ravages du temps. Nous connaissons quelque chose de leurs grandes actions, de leur grande puissance, et, hélas ! de leurs grands crimes. Nous savons aussi quelque chose d’un lord de Douglas qui siégea dans un parlement tenu à Forfar par le roi Malcolm I er : or nous avons découvert que telle était sa fureur de courre le cerf, qu’il se construisit dans la forêt d’Ettrick une tour qui peut-être existe encore. »
« Excusez-moi, vieillard, dit le chevalier, mais je n’ai pas le temps aujourd’hui d’entendre réciter la généalogie de la maison de Douglas. Une moins ample matière fournirait à un ménestrel qui aurait l’haleine longue le sujet de parler pendant tout un mois du calendrier, y compris les dimanches et les fêtes. »
« Quels autres renseignemens pouvez-vous donc attendre de moi, répliqua le fossoyeur, que ceux qui concernent ces héros, dont j’ai eu occasion d’installer quelques uns dans cet éternel repos, qui sépare à jamais les morts des occupations de ce monde ? Je vous ai dit où dormait cette famille jusqu’au règne du royal Malcolm ; je puis vous indiquer encore un autre caveau où repose sir John de Douglas-Brun, avec son fils lord Archibald, et un troisième William, connu par un contrat avec lord Abernethy ; enfin je puis vous parler de celui à qui appartient justement cet écusson avec tout son entourage de splendeur et de gloire. Portez-vous envie à cet illustre seigneur, que je n’hésiterais pas, si la mort pouvait entendre, à nommer mon honorable patron ; et avez-vous dessein de déshonorer ses restes ? Ce sera une bien pauvre victoire ; et il ne convient ni à un chevalier ni à un noble de venir remporter une pareille victoire sur un mort contre qui, de son vivant, peu de chevaliers auraient dirigé leurs chevaux de bataille. Il combattit pour défendre son pays, mais n’eut pas la bonne fortune de la plupart de ses ancêtres, de mourir au milieu des combats. La captivité, la maladie, le chagrin que lui causaient les malheurs de son pays lui ont donné la mort dans une prison et sur un sol étranger. »
Là l’émotion du vieillard devint si vive qu’il fut forcé de s’interrompre ; et le chevalier anglais ne put poursuivre son interrogatoire du ton sévère que lui commandait son devoir.
« Vieillard, dit-il, je ne vous demande point ces détails qui ne doivent m’être qu’inutiles, aussi bien qu’ils vous sont pénibles à vous-même. Vous ne faites que votre devoir en rendant justice à votre ancien seigneur ; mais vous ne m’avez pas encore expliqué pourquoi j’ai rencontré dans cette ville, et cette nuit même, il n’y a pas une demi-heure, un individu armé, reconnaissable au teint noir des Douglas, qui a poussé leur cri de guerre comme pour insulter à ceux qui les ont vaincus. »
« On ne peut assurément, répliqua le fossoyeur, exiger de moi que j’explique une pareille aventure autrement qu’en supposant que les craintes naturelles des Anglais évoqueront toujours l’ombre de Douglas lorsqu’ils passeront en vue de leurs sépulcres. Il me semble d’ailleurs que, par une nuit comme celle-ci, le plus beau cavalier du monde aurait eu le teint basané de cette famille ; et je ne m’étonnerais pas que leur cri de guerre, qui fut jadis poussé dans ce pays par des milliers de braves, sortit par hasard aujourd’hui de la bouche d’un seul champion. »
« Vous êtes bien hardi, vieillard, repartit le chevalier anglais ; considérez-vous que votre vie est en mon pouvoir,
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