LE CHÂTEAU DANGEREUX
mieux à mes oreilles affaiblies de comprendre ce que vous avez à me dire, et l’asthme qui me travaille me fera moins souffrir et me permettra de vous répondre plus aisément. »
En effet, une toux bruyante, sèche et asthmatique attestait la violence de la maladie dont il venait de parler, et le jeune chevalier suivit l’exemple de son hôte en s’asseyant au coin du feu sur une des méchantes escabelles. Le vieillard alla prendre dans un coin de la chambre un tablier qu’il portait quelquefois, plein de morceaux de planches brisées, dont quelques unes étaient recouvertes de drap noir, ou marquetées de clous noirs aussi, ou, comme cela pouvait être, dorés.
« Vous reconnaîtrez que ce nouvel aliment est nécessaire à mon feu, dit le vieillard, pour conserver un certain degré de chaleur dans cet appartement délabré ; en outre, les vapeurs de mortalité dont cette voûte pourrait se remplir, si on laissait le feu s’éteindre, ne sont pas indifférentes pour les membres de gens délicats et bien portans comme votre seigneurie, quoique je m’y sois habitué, moi. Ces planches vont finir par s’enflammer, quoiqu’il faille un certain temps pour que l’humidité de la tombe soit vaincue par l’air plus sec et par la chaleur de la tourbe. »
En conséquence, les restes de mortalité dont le vieillard avait rempli son âtre commencèrent par degrés à produire une épaisse vapeur onctueuse qui jeta enfin de la lumière, et, éclairant l’ouverture par où s’échappait la fumée, répandit un air moins sombre dans le triste appartement. Ces différentes pièces du large écusson eurent et renvoyèrent les rayons de lumière avec une réflexion aussi brillante que celle dont était capable ce lugubre objet, et tout l’appartement s’anima d’une gaîté fantastique, étrangement mêlée aux idées sombres que ses ornemens étaient propres à produire dans l’esprit. »
« Vous êtes surpris, dit le vieillard, et peut-être, sire chevalier, n’avez-vous encore jamais vu ces restes de la mort, servant à rendre l’habitation des vivans en quelque sorte plus commode qu’elle ne l’aurait été autrement. »
« Commode ! répliqua le chevalier de Valence en haussant les épaules ; je serais fâché, vieillard, de savoir que j’eusse un chien qui fût aussi mal logé que vous l’êtes, vous dont pourtant les cheveux gris ont vu de meilleurs jours. »
« Peut-être oui, répliqua le fossoyeur, peut-être non ; mais ce n’était pas, je le suppose, concernant ma propre histoire que votre seigneurie paraissait disposée à m’adresser quelques questions : je prendrai donc la liberté de vous demander sur quoi vous venez me consulter. »
– « Je vais vous parler franchement, et vous reconnaîtrez tout de suite qu’il me faut une réponse courte et claire. Je viens de rencontrer dans les rues de ce village un individu que m’a montré un rayon furtif de la lune, qui a eu l’audace de déployer la bannière et de pousser le cri de guerre des Douglas ; même, si je puis en croire mes yeux qui ne l’ont vu qu’un instant, ce hardi cavalier avait les traits et le teint noirs qui distinguent Douglas. On m’a envoyé vers vous comme vers une personne qui est à même de m’expliquer cette circonstance extraordinaire que, en ma qualité de chevalier anglais, et comme engagé au service du roi Édouard, je suis particulièrement tenu d’éclaircir. »
– « Permettez-moi d’établir une distinction. Les Douglas des premières générations sont mes proches voisins, et, suivant mes superstitieux concitoyens, mes amis et mes visiteurs je puis prendre sur ma conscience d’être responsable de leur conduite, et empêcher qu’aucun des vieux barons qui forment, dit-on, les racines de ce grand arbre généalogique, ne revienne troubler par son cri de guerre les villes ou villages de leur pays natal : non, aucun d’eux ne brandira au clair de lune l’armure noire qui s’est depuis long-temps rouillée sur leurs tombeaux.
Ces braves chevaliers ne sont plus que poussière ;
La rouille a dévoré leur lance meurtrière ;
Et, sans doute du ciel remplissant les desseins
Leurs armes ont trouvé la demeure des saints {16} .
Promenez vos regards dans cette enceinte, sir chevalier : vous avez au dessus et autour de vous les hommes dont nous parlons. Au dessous de nous, dans une petite aile qui n’a point été ouverte depuis le temps où ces cheveux rares étaient
Weitere Kostenlose Bücher