LE CHÂTEAU DANGEREUX
, dit le ménestrel, lorsque le royaume d’Angleterre ne peut fournir un homme assez brave, ou assez habile dans l’art de la guerre, pour défendre un misérable hameau du nord contre les rebelles écossais qui ont juré de le reprendre sur les cadavres de nos soldats avant que l’année soit révolue ? Où sont les nobles dames dont les sourires savaient enflammer le courage des chevaliers de la croix de Saint-George ? Hélas ! l’esprit de l’amour et de la chevalerie est comme mort parmi nous ; nos chevaliers se bornent à de petites entreprises, et nos plus nobles héritières sont données comme récompenses à des étrangers, comme s’il n’y avait pas dans leur propre pays des gens qui les méritassent. » Alors s’arrêta le ménestrel ; et j’ai honte de dire que moi-même, comme remplie d’enthousiasme par le chant du barde, je me levai et détachant de mon cou la chaîne d’or qui soutenait un crucifix d’une sainteté particulière, je fis vœu, toujours avec la permission du roi, d’accorder ma main et l’héritage de mes pères au brave chevalier qui, noble de naissance et d’origine, conserverait le château de Douglas au roi d’Angleterre pendant un an et un jour. Je m’assis, ma chère sœur, assourdie des applaudissemens par lesquels mes convives témoignèrent leur approbation de mon prétendu patriotisme. Néanmoins un moment de silence régna parmi les jeunes chevaliers qu’on pouvait raisonnablement croire prêts à accepter cette offre, quoiqu’au risque d’être embarrassés d’Augusta Berkely. »
« Honte à l’homme, dit sœur Ursule, qui aurait pu penser ainsi ! Ne prenez que votre beauté seule en considération, ma très chère, encore un vrai chevalier aurait-il dû s’exposer au péril de vingt châteaux de Douglas, plutôt que de manquer cette inappréciable occasion d’obtenir vos faveurs. »
« Il est possible que plus d’un ait ainsi pensé en effet reprit le pèlerin ; mais on supposa que les bonnes graces du roi seraient à jamais perdues pour ceux qui sembleraient empressés à contrarier sa royale volonté quant à la main de sa pupille. Néanmoins, et à ma grande joie, la seule personne qui profita de l’offre que j’avais faite fut sir John de Walton ; et comme son approbation a été subordonnée à une clause « sauf acceptation du roi, », j’espère qu’il n’a rien perdu dans la faveur d’Édouard. »
« Soyez convaincue, noble et magnanime jeune fille, répliqua la nonne, qu’il n’est pas à craindre que votre généreux dévouement nuise à votre amant dans l’esprit du roi d’Angleterre. Nous entendons quelquefois parler des choses du monde dans ce coin retiré du cloître de Sainte-Bride ; et le bruit court parmi les soldats anglais que le roi fut sans doute offensé en vous voyant mettre votre volonté en opposition avec la sienne, mais que, d’un autre côté, l’amant heureux, sir John de Walton, était un homme d’une si brillante réputation, et votre offre rappelait tellement une époque meilleure mais non oubliée, que même un roi ne pouvait au commencement d’une guerre longue et opiniâtre priver un chevalier errant de sa fiancée, s’il la conquérait convenablement par sa lance et son épée. »
« Ah ! chère sœur Ursule ! soupira le pèlerin déguisé ; mais quels ne sont pas les périls qu’il faut surmonter pour que notre amour parvienne enfin au but ! Tandis que je demeurais dans mon château solitaire, nouvelles sur nouvelles venaient m’étourdir des nombreux ou plutôt des constans dangers qui entouraient mon amant, jusqu’à ce qu’enfin, dans un moment, je crois, de folie, je résolus de partir sous ce déguisement d’homme ; et après avoir vu de mes propres yeux dans quelle situation j’avais mis mon chevalier, je me décidai à prendre telle mesure par rapport à la durée de son épreuve que je pourrais abréger, ou à toute autre chose que la vue du château de Douglas, et pourquoi le nierais-je ? de sir John de Walton, pourrait me suggérer. Peut-être, ma chère sœur, ne vous est-il pas possible de si bien comprendre combien j’étais tentée de renoncer à une résolution que j’avais prise dans l’intérêt de mon propre honneur et de celui de mon amant ; mais songez que cette résolution était la conséquence d’un moment d’enthousiasme, et que la démarche à laquelle je me décidai était la conclusion d’un état d’incertitude long, pénible,
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