LE CHÂTEAU DANGEREUX
voile de force, à moins que je ne consentisse à épouser un jeune homme élevé à la cour anglaise, son neveu, et, comme le ciel ne lui avait pas donné de fils, héritier, à ce qu’il avait résolu, de la maison de Hautlieu. Je ne fus pas longue à faire mon choix. Je protestai que je préférais mourir à recevoir tout autre époux que Malcolm Fleming. Mon amant ne me fut pas moins fidèle ; il trouva moyen de venir causer avec moi une certaine nuit et me proposa de faire prendre d’assaut le monastère de Sainte-Bride, pour m’emmener ensuite au milieu des bois verdoyans dont Wallace était généralement appelé le roi. Mais vint une heure de malheur, heure de déraison et de sorcellerie, je crois… Je laissai l’abbesse m’arracher un secret qui, j’aurais dû le pressentir, devait lui paraître à elle plus horriblement sacrilège qu’à toute autre femme du monde ; mais je n’avais pas encore prononcé de vœux, et je pensais que Wallace et Fleming avaient sur tous les êtres les mêmes charmes que sur moi, et l’artificieuse femme, me donnant lieu de croire que sa loyauté envers Bruce n’excitait pas le moindre soupçon, devint complice d’un complot dont ma liberté était le but. L’abbesse s’engagea à faire éloigner les gardes anglaises jusqu’à une certaine distance, et les troupes s’éloignèrent en effet ou plutôt le feignirent. En conséquence, au milieu de la nuit fixée, la fenêtre de ma cellule, qui était au deuxième étage, fut ouverte sans bruit, et jamais mes yeux ne furent plus satisfaits que quand déguisée, et prête à fuir, portant même un costume de cavalier comme vous, belle lady Augusta, je vis Malcolm Fleming grimper dans mon appartement. Il se précipita vers moi, mais en même temps mon père avec dix de ses hommes les plus robustes remplirent la chambre et poussèrent leur cri de guerre, Baliol ! les coups furent aussitôt donnés et rendus de part et d’autres. Mais au milieu du tumulte apparut une espèce de géant qui se distingua, même à mes yeux troublés, par l’aisance avec laquelle il terrassa et dispersa ceux qui s’opposaient à mon évasion. Mon père seul opposa une résistance qui manqua lui devenir fatale ; car Wallace, dit-on, pouvait à lui seul triompher des deux plus vaillans champions qui jamais tirèrent l’épée. Écartant de lui les hommes armés, comme une dame écarterait d’elle avec son éventail un essaim de mouches incommodes, il me prit d’un bras, se servit de l’autre pour nous protéger tous deux ; et je fus sur le point d’être descendue en sûreté par l’échelle dont mes libérateurs s’étaient aidés pour pénétrer du dehors dans ma cellule… mais un malheur m’attendait là.
« Mon père, que le champion de l’Écosse avait épargné par égard pour moi, ou plutôt pour Fleming, gagna par la compassion et la bonté de son vainqueur un terrible avantage et en profita sans remords. N’ayant que ma main gauche à opposer aux tentatives furieuses de mon père, Wallace, malgré même toute sa force, ne put empêcher l’assaillant de renverser, avec toute la violence du désespoir, l’échelle sur laquelle sa fille était perchée comme la tourterelle entre les serres d’un aigle. Le champion vit notre danger, et faisant un dernier effort de vigueur et d’agilité, se précipita avec moi du haut de l’échelle, et alla tomber au delà des fossés du couvent, où nous aurions été infailliblement jetés sans cet acte de courage. Le champion de l’Écosse échappa sain et sauf de cette tentative désespérée ; mais moi, qui tombai sur un tas de pierres et de décombres ; moi, fille désobéissante, presque vestale, parjure, je ne me relevai de mon lit, après une maladie fort longue, que pour me retrouver la misérable défigurée que vous voyez devant vous. J’appris alors que Malcolm avait échappé dans le combat, et peu après m’arriva la nouvelle, nouvelle qui excita en moi une douleur moins vive peut-être qu’elle n’aurait dû l’être, que mon père avait péri dans une de ces innombrables batailles que se livrèrent les factions ennemies. S’il avait vécu, je me serais résignée jusqu’au bout à mon destin ; mais puisqu’il n’était plus, je pensai qu’il vaudrait encore mieux être mendiante dans les rues d’un village d’Écosse, qu’abbesse dans ce misérable couvent de Sainte-Bride ; et même le pauvre objet d’ambition sur lequel mon père avait
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