LE CHÂTEAU DANGEREUX
avec une fermeté mâle ces nouvelles inattendues… Je suis tenté de croire qu’il ne s’est rien passé dans cette affaire, qu’un esprit d’homme pouvait empêcher. Cette belle lady, j’aime à l’espérer, ne peut être ni beaucoup blessée, ni profondément offensée d’une suite de circonstances qui sont la conséquence naturelle de votre envie d’accomplir scrupuleusement un devoir dont doit dépendre la réalisation de toutes les espérances qu’elle vous a permis de concevoir. Au nom de Dieu, reprenez courage, sir John ; qu’on ne puisse pas dire que la crainte du dédain d’une belle a pu abattre à un tel point le courage du plus hardi chevalier de l’Angleterre ; soyez ce que les hommes vous ont appelé : « Walton l’Intrépide. » Au nom du ciel, voyons du moins si la belle est offensée, avant de conclure qu’elle l’est irrévocablement. À la faute de qui devons-nous attribuer la source de toutes ces erreurs ? Assurément, sauf tout le respect qu’on lui doit, c’est au caprice de la dame elle-même, qui a engendré un tel nid de méprises. Pensez donc en homme, en soldat. Supposez que vous-même ou moi, voulant éprouver la fidélité de nos sentinelles, ou pour toute autre raison, bonne ou mauvaise, nous essayions de pénétrer dans ce dangereux château de Douglas, sans donner le mot d’ordre aux gardes : aurions-nous le droit de blâmer les soldats de faction si, ne nous reconnaissant pas, ils nous refusaient bravement l’entrée, nous faisaient prisonniers et nous maltraitaient même en repoussant notre attaque, pour obéir aux ordres que nous leur avons nous-mêmes donnés ? Où est la différence entre ces sentinelles et vous, sir John de Walton, dans cette curieuse affaire, qui, par le ciel ! servirait plutôt de sujet aux vers légers de cet excellent barde, que de texte à un lai tragique ? Allons, quittez cet air, sir John de Walton ; soyez colère, si vous le voulez, contre la belle qui a commis, un tel acte de folie, ou contre moi qui suis allé et venu toute la nuit pour remplir ma maudite commission de niais, et qui ai abîmé mon meilleur cheval, quoique j’ignore absolument comment je pourrai m’en procurer un autre avant que je me sois réconcilié avec mon oncle de Pembroke ; ou enfin, si vous désirez être tout-à-fait absurde dans votre colère, dirigez-la contre ce digne ménestrel, à cause de sa rare fidélité, et punissez-le d’une conduite pour laquelle il mérite plutôt une chaîne d’or. Mettez-vous en fureur, si bon vous semble, mais chassez ce sombre désespoir du front d’un homme, du front d’un chevalier. »
Sir John de Walton fit un effort pour parler, et y parvint avec quelque peine.
« Aymer de Valence, dit-il, irriter un furieux, c’est jouer avec sa propre vie. » Et il se tut.
« Je suis content que vous puissiez au moins parler ainsi, répliqua le jeune homme ; car je ne plaisantais pas lorsque je vous disais que j’aimerais mieux vous voir en colère contre moi, que rejetant tout le blâme de cette affaire sur vous-même. Il serait courtois, je pense, de remettre immédiatement ce ménestrel en liberté ; cependant, dans l’intérêt de sa maîtresse, je le supplierai en tout honneur d’être notre hôte jusqu’à ce que lady Augusta de Berkely nous fasse le même honneur, et de nous aider à découvrir l’endroit où elle s’est réfugiée… Bon ménestrel, continua-t-il, vous m’entendez, et vous ne serez pas surpris, je pense, de vous trouver, avec le respect et les traitemens convenables, retenu pendant un court espace de temps dans ce château de Douglas ? »
« Vous semblez, sire chevalier, répliqua le ménestrel, ne pas tant considérer le droit de faire ce que vous devez, que posséder le pouvoir de faire ce que vous voulez. Il faut donc nécessairement que je me rende à votre prière, puisque vous avez la puissance de la convertir en un ordre. »
« Et j’espère, continua de Valence, que, quand vous et votre maîtresse vous serez réunis, nous jouirons du bienfait de votre intercession pour qu’elle nous pardonne ce que nous avons fait qui a pu lui déplaire, attendu que nos attentions avaient un but absolument contraire. »
« Permettez-moi, dit sir John de Walton, de dire un seul mot : Je t’offrirai une chaîne d’or assez pesante pour balancer le poids des fers dont tu es encore chargé, comme signe de mon regret de t’avoir condamné à souffrir tant
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