Le cheval de Troie
de ton frère Icarios.
— Je me charge de cela. N’aie nulle inquiétude.
— Icarios ne m’aime pas et Pénélope a eu des prétendants bien plus fortunés.
— Je m’en occuperai, répéta mon père.
— L’affaire est donc réglée, ajouta Agamemnon.
Je n’en revenais pas ! Il paraissait saisir pourquoi Ulysse estimait Pénélope. Moi, pas du tout. Je la connaissais bien, ma cousine : assez jolie, riche héritière de surcroît, mais tellement ennuyeuse ! Un jour où elle me surprit alors qu’un noble m’embrassait les seins, elle me gratifia d’un long sermon sur les vils et dégradants plaisirs de la chair. Et ajouta – d’une voix froide et mesurée – que je ferais bien mieux de me consacrer à des occupations vraiment féminines, comme le tissage. Elle devait être folle ; le tissage , vraiment !
Ulysse se remit à parler. Je laissai là mes considérations sur Pénélope et tendis l’oreille.
— Je crois savoir à qui tu comptes accorder la main de ta fille, Tyndare et je comprends tes raisons. Mais qui tu choisis importe peu, il le faut avant tout préserver tes intérêts ainsi que ceux d’Agamemnon et conserver de bonnes relations avec les cent prétendants que ton choix aura déçus. Je peux t’y aider, si tu suis mes conseils à la lettre.
— Soit ! répondit Agamemnon.
— Il convient tout d’abord de rendre aux prétendants tous leurs présents, en les remerciant de leur générosité. Personne ne doit pouvoir te reprocher d’être cupide, Tyndare.
— Est-ce vraiment nécessaire ? demanda mon père, chagrin.
— Indispensable.
— Les présents seront rendus, déclara Agamemnon.
— Bien. Tu annonceras ton choix dans la salle du trône, demain soir. Je veux que la pénombre règne, que le lieu soit sanctifié. Fais donc venir tous les prêtres et brûler de l’encens. Un tel rituel engourdira les esprits. Tu ne peux te permettre de t’adresser à une foule surexcitée et agressive.
— Il en sera ainsi, soupira mon père, qui détestait entrer dans les menus détails.
— On n’en est qu’aux prémices, Tyndare. Quand tu leur parleras, tu diras aux prétendants combien tu aimes ta fille, ce précieux joyau et comment tu as prié les dieux de te guider. Tu leur diras que ton choix a été approuvé par l’Olympe. Les auspices sont favorables, les oracles limpides. Mais Zeus le Tout-Puissant a posé ses conditions » Avant d’apprendre le nom de l’heureux vainqueur, tous devront jurer d’approuver ton choix. Mais tous devront également jurer fidélité et loyauté au futur époux d’Hélène. Si besoin est, tous feront la guerre pour défendre ses droits.
Agamemnon, silencieux, le regard vide, se mordillait les lèvres, apparemment fort excité. Mon père était abasourdi. Quant à Ulysse, il terminait son poulet, satisfait de sa tirade. Soudain Agamemnon le saisit par les épaules avec une force telle que ses doigts blanchirent. C’en était inquiétant mais Ulysse, impassible, se contenta de le regarder.
— Par Kubaba, notre Mère, tu es un génie, Ulysse ! s’écria le grand roi. Tu te rends compte de ce que cela signifie, Tyndare ? L’époux d’Hélène pourra compter sur des alliances irrévocables avec presque toutes les nations de Grèce ! Son avenir est assuré, son statut mille fois renforcé !
Quoique fort soulagé, mon père fronça les sourcils.
— Mais quel serment proposer ? Il doit être suffisamment terrible pour les lier à jamais !
— Un seul convient, déclara Agamemnon. Il articula lentement : le serment de l’Étalon : par Zeus le maître du Tonnerre, par Poséidon qui fait trembler la Terre, par les filles de Perséphone et par le Styx.
Les mots tombèrent comme gouttes de sang de la tête de Méduse. Père trembla et porta ses mains à son front. Mais Ulysse, indifférent, avait déjà changé de sujet.
— Qu’en est-il de l’Hellespont ? demanda-t-il à Agamemnon.
Le grand roi s’assombrit.
— Je ne sais trop. Pourquoi le roi Priam ne voit-il pas les avantages qu’il aurait à rendre le Pont-Euxin de nouveau accessible aux navires marchands grecs ?
— Il me semble, dit Ulysse en prenant un gâteau au miel, qu’en exclure les marchands grecs n’a pour Troie que des avantages. Elle s’enrichit des péages imposés pour franchir l’Hellespont. De plus, Priam a conclu des traités avec les autres rois d’Asie Mineure. Sans doute prélève-t-il une partie des sommes
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