Le cheval de Troie
exorbitantes que nous, les Grecs, devons débourser pour l’étain et le cuivre, si nous les achetons en Asie Mineure, et nous y sommes bien obligés. Il ne s’agit ici que de profit, Agamemnon.
— Télamon nous a joué un bien mauvais tour en enlevant Hésione ! s’exclama mon père.
— Télamon était dans son droit, répliqua Agamemnon. Tout ce qui demandait Héraclès, c’était une rétribution pour l’éminent service qu’il avait rendu à Troie. Quand cet avare de Laomédon la lui a refusée, le premier imbécile venu aurait pu en tirer les conséquences.
— Cela fait à présent plus de vingt ans qu’Héraclès est mort, dit Ulysse. Thésée lui aussi est mort. Seul Télamon vit encore et jamais il n’acceptera de se séparer d’Hésione, quand bien même elle y consentirait. L’enlèvement et le viol sont de vieilles pratiques, qui n’ont guère à voir avec la politique troyenne. La Grèce est en plein essor. L’Asie Mineure le sait. Quelle meilleure politique Troie et l’Asie Mineure peuvent-elles adopter que de refuser à la Grèce ce dont elle a besoin : de l’étain et du cuivre pour fondre du bronze ?
— Ça n’est que trop vrai, dit Agamemnon en tirant sur sa barbe. Que ressortira-t-il de cette interdiction imposée par Troie ?
— Une guerre, conclut Ulysse calmement. Tôt ou tard, nous ne pourrons l’éviter ; quand nous commencerons à être à court d’étain pour couler le bronze et forger des glaives, des boucliers et des pointes de flèches.
Leur conversation se fit plus ennuyeuse encore ; il ne s’agissait plus de moi. Par ailleurs, Ménélas me devenait intolérable et l’effet du vin se faisait sentir parmi les convives : les regards admiratifs se raréfiaient. Je m’esquivai silencieusement et, arrivée devant les appartements de ma mère, redoublai de prudence. Tête baissée, je tirai le rideau. Soudain je me sentis happée par derrière et une main sur ma bouche étouffa mon cri. Diomède ! Le cœur battant, je le contemplai. Je n’avais jusqu’à présent échangé avec lui que quelques mots et jamais nous ne nous étions trouvés seuls ensemble.
La lampe faisait luire sa peau ambrée, une veine battait à son cou. Je croisai son regard sombre, brûlant et sentis sa main s’éloigner de ma bouche. Comme il était beau !
— Viens me retrouver dehors, dans le jardin, murmura-t-il.
— Es-tu fou ? Laisse-moi partir et je ne dirai rien de ton impudence. Mais laisse-moi !
Son sourire laissait entrevoir l’éclat de ses dents.
— Je ne partirai pas avant que tu t’engages à venir me trouver dans le jardin. Ils vont encore rester un bon moment dans la salle du banquet, nul ne remarquera notre absence. Je te veux ! Je me moque bien de leurs palabres et de leurs tergiversations.
Encore tout étourdie par la chaleur qui régnait dans la salle du banquet, j’acquiesçai malgré moi, d’un signe de tête et Diomède me rendit ma liberté. Je courus dans ma chambre.
Nesté m’attendait.
— Va donc te coucher ! Je veux me déshabiller seule !
Habituée à mes sautes d’humeur, elle se retira. J’enlevai mes vêtements, les clochettes, les bracelets et les bagues et passai un simple peignoir. Puis je courus dans le couloir et dévalai l’escalier à l’arrière de la maison pour m’engouffrer dans la nuit. Il avait dit le jardin. Qui, en effet, penserait à nous chercher dans le potager ? Je l’y trouvai, nu sous un laurier. Mon peignoir tomba à terre, suffisamment loin de lui pour qu’il me voie dans le ruissellement du clair de lune. En un instant, il fut près de moi, étendit le peignoir pour en faire notre couche et me serra dans ses bras. Il me pressait contre la terre, qui donne force aux femmes et retire aux hommes la leur. Ainsi le veulent les dieux.
— La langue et les mains, Diomède, rien d’autre, murmurai-je. Je veux m’étendre sur la couche nuptiale l’hymen intact.
Il étouffa un rire entre mes seins.
— Est-ce Thésée qui t’a appris à rester vierge ?
— Personne n’a eu à me l’apprendre, chuchotai-je en lui caressant les bras et les épaules. Je sais que je risque ma tête si je sacrifie ma virginité à tout autre qu’à mon mari.
Quand il me quitta, il était satisfait, je pense, même si ce n’était pas tout à fait ce qu’il avait espéré. Mais parce que son amour était sincère, il respecta mes conditions, comme l’avait fait Thésée. Je me moquais bien de ce
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