Le cheval de Troie
d’homme ; au-dessus, des fresques représentaient lions, léopards, ours, loups et scènes de chasse – en noir, blanc, jaune, rouge vif, sépia et rose, sur un fond bleu pâle. Derrière le trône se dressait un paravent d’ébène incrusté de motifs d’or.
Je me débarrassai de mon arc et de mon carquois et les remis à un esclave, puis me faufilai à travers les groupes de courtisans jusqu’à l’estrade. En m’apercevant, le roi se pencha en avant pour effleurer de son sceptre d’ivoire ma tête inclinée. C’était le signal qui m’autorisait à me relever pour m’approcher de lui. J’embrassai sa joue flétrie.
— Je suis heureux de ton retour, mon fils.
— J’aimerais pouvoir être pareillement heureux, père.
— J’espère toujours que tu vas rester, Pâris, soupira-t-il. Si tu voulais, tu pourrais devenir quelqu’un.
— Je ne veux assumer nulle fonction princière, seigneur.
— Mais tu es bel et bien un prince. Tu es pourtant jeune, je le sais. Tu as le temps.
— Non, seigneur. Il est trop tard. Tu me crois toujours un enfant, mais je suis un homme. J’ai trente-trois ans.
Je crus qu’il ne m’écoutait pas, car il leva la tête et fit signe à quelqu’un au fond de la salle : c’était Hector.
— Pâris affirme qu’il a trente-trois ans, mon fils, lança-t-il quand Hector se présenta en bas des trois marches.
Même ainsi, il était suffisamment grand pour regarder mon père sans avoir à lever les yeux.
— Eh bien oui, père, acquiesça Hector en riant. Je suis né dix ans après lui et cela fait déjà six lunes que j’ai vingt-trois ans. Mais lui ne paraît pas son âge !
Je me mis à rire à mon tour.
— Grand merci, petit frère ! Il est vrai que tu parais aussi âgé que moi, sans doute parce que tu es héritier, lié à l’État, à l’armée, à la couronne… L’absence de responsabilité est source d’éternelle jeunesse, j’en suis la preuve !
— Ce qui convient à l’un ne convient pas forcément à l’autre, répondit-il avec calme. Les femmes n’ont que peu d’intérêt pour moi, qu’importe en ce cas de paraître vieux avant l’âge ? Tu savoures tes escapades quand je préfère diriger des manœuvres militaires. Mon visage se ridera peut-être prématurément, mais je garderai ma forme et ma ligne des années après que tu auras une bedaine.
Je fis la grimace. On pouvait faire confiance à Hector pour trouver le point faible ! Depuis qu’il était l’héritier, il avait mûri. Finies l’exubérance et les provocations de la jeunesse. Il savait maîtriser son énergie pour en faire meilleur usage. J’étais loin d’être un gringalet, mais Hector me dominait en taille et en corpulence. Nous tous, fils de Priam et d’Hécube, étions connus pour notre fière allure. Mais Hector avait quelque chose de plus : l’autorité naturelle.
Le vieil Anténor demanda, d’un ton bougon, audience au roi. Hector et moi quittâmes donc la salle du trône.
— J’ai une surprise pour toi, me dit mon frère cadet l’air réjoui, tandis que nous parcourions les interminables couloirs qui menaient à son palais, situé juste à côté de celui de notre père. Quand il me conduisit dans une grande salle de réception, je ne pus cacher ma stupéfaction.
— Hector ! Où est-elle ?
L’ancienne armurerie encombrée de lances, de boucliers, d’armures et de glaives était maintenant une salle magnifique. Je découvris des peintures éclatantes, des arbres aux formes gracieuses, vert jade et bleus, des fleurs violettes, des chevaux qui caracolaient. Les dalles de marbre noir et blanc luisaient. Trépieds et bibelots avaient été astiqués, des rideaux pourpres magnifiquement brodés pendaient aux fenêtres et aux portes.
— Où est-elle donc ?
— Elle arrive, dit-il en rougissant.
Sur ces mots, elle entra. Je la regardai de la tête aux pieds et dus bien reconnaître que mon frère avait du goût : elle était splendide. Aussi brune que lui, grande et bien découplée et tout autant maladroite en société ; elle me jeta un bref coup d’œil, avant de détourner le regard.
— Voici Andromaque, mon épouse.
Je l’embrassai sur la joue.
— Je te félicite, petit frère. Je te félicite. Mais, assurément, elle n’est pas d’ici.
— Non, c’est la fille du roi Éétion de Cilicie. Père m’a envoyé là-bas au printemps et je l’en ai ramenée. Ça n’était pas prévu, mais… c’est arrivé.
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