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Le Chevalier d'Eon

Le Chevalier d'Eon

Titel: Le Chevalier d'Eon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
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britanniques où il exerçait de mystérieuses activités auxquelles il fait allusion dans ses lettres au chevalier, qu’il appelle ma cousine ou ma sœur. Il semble jouer pour lui le rôle d’informateur et de négociateur, tout en écoulant à bon prix les muids de vin de Tonnerre à l’aristocratie anglaise.
    Dans sa retraite, le chevalier ressassait ses malheurs   : il s’estimait victime de la perfidie de l’ambassadeur et des ministres qui le soutenaient, c’est-à-dire les deux cousins Choiseul, lesquels se méfiaient du comte de Broglie et tentaient de percer le Secret. Le chevalier, qui n’était plus un jeune homme, comprenait que l’affaire Guerchy allait lui coûter sa carrière de diplomate. Cependant pas un instant il ne songeait à se battre la coulpe   : il se persuadait qu’il luttait pour faire triompher la vérité et partant son bon droit, sans penser que ses procédés étaient contraires à son devoir et à la décence de son état. Lorsqu’il apprit que Jean-Jacques Rousseau avait résolu de se réfugier en Angleterre, il voulut considérer qu’ils étaient l’un et l’autre victimes du despotisme. Pourtant les charges qui pesaient sur le philosophe étaient sans rapport avec celles qui pesaient sur lui. En 1762, le Parlement de Paris avait condamné l’Émile qui développait « le système criminel   » de la religion naturelle, et instituait la raison comme seul juge en matière religieuse. Le Parlement accusait également l’ouvrage de contester l’autorité souveraine. Non seulement l’Émile avait été voué à la destruction, mais Rousseau aurait dû être arrêté et conduit à la prison de la Conciergerie. Protégé par le prince de Conti et le maréchal de Luxembourg, il avait pu quitter la France pour la Suisse. Mais il s’était alors heurté au Petit Conseil de Genève. C’est pourquoi il avait décidé de se rendre en Angleterre avec David Hume que connaissait d’Éon. Le chevalier prit alors sa plus belle plume pour s’adresser à l’illustre exilé   :
     
    « Ce 20 février 1766,
    Monsieur,
    Ce n’est que depuis peu que j’ai appris dans ma retraite votre arrivée dans cette île. Si je l’eusse su plus tôt, je vous aurais déjà félicité   ; et si j’eusse eu l’honneur de vous connaître personnellement, il y a longtemps que je vous aurais écrit pour vous déterminer à venir plus promptement dans cet asile de la liberté.
    La connaissance que j’ai de votre caractère et de vos vertus par vos ouvrages, celle que j’ai de Paris et de Londres, me font croire que vous serez presque aussitôt dégoûté de Londres que de Paris, que vous vivriez beaucoup plus libre, plus tranquille et à meilleur marché, dans quelque retraite un peu éloignée de la capitale. Vous pourriez vous retirer dans la province de Galles, qui est la Suisse de l’Angleterre   ; je pourrais vous y procurer quelques bons amis, et vous y aller voir. Si vous aimez la chasse et la pêche, vous pourriez vivre là sans le secours de personne, avec la même liberté et innocence que nos premiers pères.
    Permettez ces réflexions à l’intérêt tout particulier que je prends à votre sort, qui me touche aussi sensiblement que le mien propre. Nos malheurs ont presque une origine commune, quoique des causes et des effets différents. On dit que vous aimez trop la liberté et la vérité   ; on m’accable du même reproche, et on ajoute que nous pourrions nous rendre plus heureux à peu de frais, vous en humiliant moins les docteurs, et moi en disputant moins avec les ministres. Je conviens que vous les avez terriblement humiliés aux yeux de la philosophie   ; mais je ne puis convenir que je dispute avec les ministres   ; je reconnais leur autorité, mais cela ne m’ôte pas, je crois, le droit de me défendre contre la barbarie d’un ambassadeur novice qui viole la loi positive et naturelle, le droit des gens, et son caractère public, qui à mon égard a rompu et déchiré indignement toutes les parties de notre contrat social {122} . Pour vous en convaincre, je vous envoie ce qui a été publié sur mon affaire   ; je vous l’envoie non par la fureur d’étourdir tout le monde et de le rendre juge des injustices atroces que j’ai éprouvées, mais parce qu’il est naturel à un affligé de chercher un autre affligé. C’est adoucir mes maux que de les mettre sous les yeux d’un homme tel que vous. Il n’y a que les sages et un certain public éclairé

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