Le Chevalier d'Eon

ouvrage avec une indulgence plénière pour mes fautes aussi grandes en belles-lettres, qu’en belle conduite. Ici je joins ma requête en latin que j’ai adressée au célèbre Kaestner, professeur que j’ai connu à l’université de Gôttingen lorsque notre sévère, brave et honnête général comte De Vaux (le feu comte de Vaux depuis sa conquête du petit royaume de corse a été fait maréchal de France et, s’il vivait encore, il en serait un des plus grands) l’occupait avec ses troupes en 1761. Depuis, M. Kaestner étant venu à Londres en 1787 et étant l’ami particulier de mon grand ami William Seward de la Société Royale des Sciences, ils m’ont pris tous deux en grande amitié. J’ai voulu lui payer ce petit tribut de reconnaissance, ainsi qu’à mes honnêtes aristarques qui m ’ ont témoigné estime et amitié en l’ancienne et scientique (sic) université d ’ Oxford.
    Mon épître latine pourra aussi me rappeler au souvenir de tant de docteurs en us que j’ai connus en Germanie, en Moravie, en Pologne, en Lituanie et en Russie. Je ne serai nullement fâché qu’ils apprennent et qu’ils sachent tous que je ne suis plus disciple des rudiments de ce monde depuis ma belle conversion qui m’a entièrement séparée du corps des dragons et du péché de mon uniforme qui m’a enfin dépouillé du vieil homme pour faire de moi une créature toute nouvelle en Notre seigneur, aux yeux des hommes devant les femmes de la Reine et devant les filles de Sainte Marie, par l’Espérance des biens qui me sont réservés dans les cieux, dont la connaissance m’a rempli de toute sagesse et d’intelligence spirituelle pour fructifier en toute bonne œuvre et me conduire dignement comme il est séant à une fille chrétienne, non seulement devant le monde, mais devant le Seigneur, ayant été pendant mon noviciat lavée, approuvée, corrigée, corroborée, fortifiée, enracinée en toute manière, en toute patience et tranquillité d’Esprit, le Seigneur ayant effacé l’obligation qui était contre moi, laquelle consistait en ordonnances militaires et m’étaient contraires et qu’il a entièrement abolie en moi par ma nouvelle obligation de vivre et de mourir en la première pureté de ma robe d’innocence, ne pensant plus aux choses qui sont en bas, mais uniquement à celles qui sont en haut.
    Ainsi, je rends grâce à celui qui m’a délivré de la puissance des ténèbres, qui m’a pardonné gratuitement mes offenses et qui m’a rendu sainte, sans tache et irrépréhensible pour être capable de participer à l’héritage des saints et des vierges dans la lumière de la gloire.
    Ce à quoi je travaille en combattant selon l’efficace de sa grâce qui agit puissamment en moi, non pour me conduire selon les éléments de ce monde, mais selon ceux de ma foi et de mon Espérance en Jésus-Christ qui est le Docteur des Docteurs des plus célèbres universités du monde chrétien. Car toute la plénitude des écritures et de la Divinité habite en Lui ; et c’est en lui seul que toute bonne doctrine est accomplie.
    C’est en lui que je vis et que, comme une autre Sainte Thérèse, je me meurs d’envie de mourir, en attendant ce grand bienfait, ma vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. En qui il n’y a ni gentil, ni grec ni juif, ni circoncision, ni prépuce, ni barbares, ni scythes, ni esclave, ni libre, mais Christ y est tout en tous.
    Je suis revêtue de la robe de charité qui est le lieu de ma perfection en humilité, en douceur, en patience d’Esprit et j’y demeure tous les jours, afin qu’il soit manifeste aux yeux du prochain scandalisé de ma vie passée parmi les dragons, que j’accomplis maintenant la volonté du seigneur, l’ordre du Roi, le décret de la loi et le vœu de ma mère. Car, en justice, je lui ai rendu ce témoignage qu’elle a toujours eu un grand zèle pour me faire porter ma première robe d’innocence, m’ayant dit cent fois en particulier que, hors d’elle, il n’y avait point de salut pour ma virginité.