Le Chevalier d'Eon
et faible individu comme moi, voulait trancher du ministre ; je voulais son argent ; je lui ai lâché lisière sur son enflure et son importance il comptait bien m’avoir dupé et attrapé, il couronna ses travaux par une longue et belle transaction éloquente et ambiguë en date du 15 octobre 1775 qu’il a composée et écrite de sa main. Mais comme cet agent fourbe du comte de Maurepas, trompeur ou trompé, ne m’a remis qu’une partie de l’argent promis en me protestant que c’était tout l’argent qu’on lui avait remis pour moi. Ce qui était très faux, mais un tour de Figaro. Alors moi qui le connaissais et qui avais grand besoin d’argent pour faire honneur à mes dettes anciennes et courantes à Londres, je lui ai dit à mon tour « Voilà tous les papiers de la Cour et du Roi que j’ai à vous remettre. » Il a cru m’avoir trompé et avoir tous les papiers de la Cour en sa possession. Mais il a été trompé lui même. Car, dans le fait, je ne lui ai remis que la moitié des papiers. Comme lui ne m’avait remis que la moitié (et pas même la moitié) de l’argent, car il ne m’a remis que cent mille livres sterling, tandis qu’il avait reçu un crédit de cent mille écus à Paris pour venir négocier à Londres mon retour à Versailles et la remise de mes papiers. Ce restant d’argent à me remettre ayant toujours été éludé, par lui et le ministre, à mon départ de Londres, j’ai déposé l’autre partie des papiers de la cour (les plus intéressants) entre les mains d’un de mes anciens amis à Londres : M. Tynte, ancien colonel du 1 er régiment des Gardes du Roi d’Angleterre et Premier Gentilhomme de la chambre de Mgr le Prince de Galles. Après les avoir divisés en paquets séparés, couverts de papier fort cacheté des armes du roi et de mon cachet particulier. Il est prêt à les rendre tels qu’ils les a reçus en dépôt dans un coffre, dans une forme intacte, aussitôt qu’on lui aura remis les mille livres sterling dont il a été caution pour moi envers M. Gaussen, fils de feu Pierre Gaussen, Premier directeur de la Banque d’Angleterre, ainsi que l’intérêt qui lui est dû depuis l’année 1791, ainsi que différentes autres sommes que mon dit colonel Tynte m’a avancées dans mes besoins, maladies et malheurs en Angleterre depuis la déclaration de la guerre et que je ne suis plus payée ni de ma pension secrète de Louis XV, ni de ma pension publique de Louis XVI. Voilà les faits vrais et certains. Jugez ma conduite dans un tribunal de conscience et d’honneur et voyez si je me suis conduite avec justice envers moi et mes légitimes créanciers à Londres sans lesquels je n’aurais pu exister en Angleterre. Considérez aussi si je me suis conduite avec prudence, fidélité, comme ancien Ministre de France pour le dépôt de la partie des papiers de mon ministère à Londres et de ma famille. Et considérez si ma conduite uniforme, constante, prudente et courageuse, mérite d’être couronnée du succès et du suffrage de votre approbation.
II Grande requête de Mademoiselle D’Éon
POUR DEMANDER LA PETITE INDULGENCE
DES LECTEURS, AUTEURS, CENSEURS
ET DES MEMBRES DE LA RÉPUBLIQUE UNIVERSELLE
DES LETTRES ÉTABLIE EN EUROPE PAR L’IMPRIMERIE
ET LA RAISON SANS PRÊTRE,
SANS POUDRE ET SANS CANON CAR DIEU
NOUS A DONNÉ LE RAISONNEMENT, UN LAÏQUE
A TROUVÉ LA PRESSE, UN MOINE LA POUDRE ET UN
PAPE LE DROIT CANON ULTIMA RATIO REGUM
I L est difficile d’expliquer comment les bons anges vivent dans le ciel ; il m’est encore plus difficile de comprendre comment les mauvais auteurs vivent sur la terre ! Cependant, je vis comme il plaît à Dieu qui me donne tout et comme il plait à la Révolution qui ne me donne rien. Sans cette belle et grande Révolution qui ne me donne rien, je n’aurais jamais été dans le besoin et je n’aurais jamais songé à donner ces lettres et mémoires sur le passé et sur le futur contingent de ma triste existence. La nécessité n’a point de loi ; elle m’a contraint dans ma vieillesse pacifique, comme dans ma jeunesse militaire, à vivre de la mort quand il s’agit de son existence physique : ventre affamé n’a point d’oreilles ; il est forcé à parler de lui.
J’ai toujours été dans l’opinion, et je suis même dans la persuasion, qu’il est impossible à un auteur d’écrire lui-même l’histoire de sa vie sans que l’orgueil inséparable du cœur humain
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